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Pourquoi ce livre ?

J'enseigne le théâtre depuis de nombreuses années. Mon expérience en tant que pédagogue et théoricien m'amène à croire que la littérature manque de textes pratiques à l'attention des artistes, et notamment pour le théâtre.

Bien sûr il existe des textes incontournables, venus de loin et tout à fait remarquables, mais je n'ai jamais trouvé dans un livre une approche adaptée, technique, contemporaine et utile dans ma pratique du théâtre.
Ce qui manquait souvent était lié à une forme de pudeur à laisser l'art ouvert, un manque de radicalité qui laissait souvent l'apprenti et le non-initié dans un sentiment qu'il n'appartient pas à la communauté de l'art.

Dans le théâtre, c'est un sentiment plus fort encore. Combien de professionnel ai-je croisé qui, dans leur pratique, qui souvent frôle l'ésotérisme, sont incapables de transmettre de façon concise, ce qu'est l'art, ce qu'est le théâtre, et comment ceux-ci ont été pervertis dans un contexte capitaliste et bourgeois assassin. Je développerai cela en temps voulu, une fois que le mouvement de ce livre sera devenu, pour vous, lecteur, un éclairage dynamique sur la nature humaine.

Il est vrai qu'un grand mystère habite ces disciplines. Des choses difficilement intelligibles sont en régie des arts. Elles sont des choses invisibles dites abstraites. Ces principes abstraits essentiels peuvent devenir tout à fait conscientisables et surpasser ce qui au prime abord est considéré comme concret. il sera aisé de donner des définitions concises de l'art, du théâtre et de la poésie, il sera plus délicat de leur donner du sens.

Il faut entraîner la pensée à concevoir les présences dans leurs mouvances plus que dans leurs physicalités. C'est, par exemple, l'idée d'un "poème cosmogonique du vivant" qui participe à l'introduction de ce livre comme une épreuve à dépasser sa pensée au profit d'une réflexion dont l'activité du corps et du cosmos pourrait en être la matière première.

Certains diront que le théâtre, son apprentissage en l'occurrence, se trouve sur scène et non dans un livre, ou que la poésie n'est pas une science, qu'avoir la foi ne suffit pas, et qu'il est préférable de respecter les fictions en place. C'est tout à fait possible. Mais mon expérience, encore elle, m'apprend qu'un comédien ou un dramaturge qui rêve d'une carrière dans le théâtre ne se rend majoritairement pas compte de l'endroit où il place ses rêves. Et c'est effectivement un fait contemporain de plus en plus fréquent, la fonction de l'art ayant été supplantée par une culture des internets gérée par une poignée d'entreprises capitalistes. C'est dans ce même monde qu'opèrent trop de scientifiques mafieux, dans des protocoles aux soucis éthiques, voire épistémologique, plus que douteux, eux-même remis en cause par des arrivistes opportunistes validés par des vagues massives de clics irresponsables.

Dans ce contexte, la poésie n'est pas qu'une lubie aux utopies naïves. La poésie c'est ce qui permet de rendre au corps un monde qui dégénère. La poésie c'est la force et le courage qu'aura eu un être, dans un moment flou d'égarement, à laisser jaillir la raison absurde du cosmos dans le chaos de son humanité. 

C'est d'ailleurs ici un choix assumé. La forme de ce texte s'égarant volontiers dans des lazzis mentaux, elle permet de ne pas faire de mon propos un propos qui cherche la vérité et en faire des leçons. Je parlerai plutôt au nom de mon témoignage et de la transmission d'une trouvaille que j'estime universelle : le vivant et son exercice par l'être humain contemporain, dans l'idéal de sa théâtralité, et trouvé dans l'exercice de mon vivant, puis validé par des centaines, peut-être des milliers d'élèves sur des décennies d'enseignement au théâtre.

Pour continuer sur la forme de ce texte, l'usage du pronom "Je" et de sa subjectivité aura été le fruit d'une longue réflexion. Mon choix s'est arrêté dessus après deux constatations. La première :"Je" est universel.  En dehors de quelques psychopathies, nous sommes tous "Je". Cet aspect universel est extrêmement séduisant dans un contexte qui trouvera les singularités ailleurs que dans les statuts et les identités. Aussi, l'usage du "Je" permet à l'écriture comme à la lecture un sentiment de présence, de réflexion mouvante plus que précieuse pour notre sujet.

La présence, l'art, le théâtre, le vivant, être humain, autant de concepts vagues qui ne sont pourtant que des évidences poétiques. Ne soyez donc pas surpris, dans cette lecture, d'être emmenés dans des formes littéraires parfois abstraites, pour une transmission qui se veut radicale et vers un enseignement
Simple
Et extrêmement difficile à penser.

Ma radicalité n'est pas une imposture elle 
Est l'urgence mise en mouvement
Dans la nécessité poétique d'une perception immédiate. 
C'est ainsi, et probablement seulement ainsi, que la radicalité sera en mesure de défricher l'esprit de ses carcans, pour recouvrer le champ des possibles
Et tenter l'emmancipation.

L'évidence du corps est de la plus haute complexité pour la pensée, et inversement. C'est un antagonisme naturel.
Ce qui est abstrait pour le corps est concret pour la pensée. Ce qui est abstrait pour la pensée est concret pour le corps. Le théâtre est la manifestation de ce paradoxe dans l'épreuve de ses mouvements, dans l'exercice du vivant.
Lorsque la pensée arrive à habiter le mouvement abstrait (ou concret, au choix) du corps hors de sa langue, alors l'esprit peut conscientiser le vivant, un mouvement singulier et pur puis
Vivre, et
Être vivant, et
Donc
Acter sa présence puis
Faire valoir sa théâtralité 
Dans le regard de sa communauté
Au nom du cosmos, au nom de
La beauté.

Les enjeux sont nombreux et dépassent largement la discipline du théâtre.
Le théâtre n'est à l'humanité qu'une intimité nécessaire face au reste du monde.
Reste du monde que j'appelle ici
Le cosmos.
Le vivant est ce que j'éprouve
Lorsque je suis traversé par le cosmos.

Parce qu'il est aisé d'oublier que nombre d'éléments sont immensément plus grands que notre humanité minuscule, et que
Je n'habite pas l'humanité mais bel et bien
Le cosmos.

Alors pourquoi utiliser le langage, l'écriture, pour faire l'éloge de ce qui ne se parle pas ?
De ce qui ne peut pas se penser ? 
Parce que quelques personnes me l'ont demandé.
Et que je n'ai pas su
Si c'était leur désir qui s'exprimait
Ou bien le mien.

Dans la confusion,
J'écris.