Le processus du vivant comme référentiel "narcissique"
Introduction au concept de narcissisme
Une interaction ne peut s'opérer sans, au moins, deux référentiels distincts.
Un référentiel est un sujet qui participe à un système, définissant ce système depuis son point de vue particulier.
Ainsi, une vérité change suivant son référentiel. C'est, par exemple, dans le respect de son référentiel qu'un système est scientifiquement rendu logique et qu'une expérience est déterminée comme valable. Il est scientifiquement impossible de réaliser une expérience scientifique sans définir au préalable le référentiel d'observation, pour pouvoir interpréter un résultat exploitable en fonction de ce référentiel.
Il faut donc spécifier le référentiel d'un système pour acter sa valeur.
En ce qui nous concerne, il nous faut spécifier si le référentiel d'un raisonnement est du point de vue de la pensée ou du vécu. Ces deux référentiels étant par essence complémentaires, ils ne sauraient apporter les mêmes vérités.
De la même façon, si le référentiel du jeu est la pensée, il n'apportera pas la même dramaturgie que le référentiel du corps.
Le personnage dramatique, s'il veut proposer un spectacle vivant, doit être pris dans un conflit substantiel, une intrigue qui brasse son être, un mouvement contradictoire qui le pousserait à réagir, à s'émouvoir.
Là où le dramaturge met en scène la parole, le contexte ou l'idée, l'acteur doit être la part organique de son personnage. Il doit se focaliser à rendre fluide le mouvement invisible qui traverse son personnage pour lui prêter ses qualités d'être vivant. L'acteur suit donc un référentiel organique. L'acteur suit un référentiel lié à l'organe du corps.
Et il doit travailler à éprouver son corps avec justesse pour prétendre à la beauté du spectacle.
L'acteur est cet organe qui rend le personnage dans le mouvant du présent, dans le mouvant du vivant. Il doit investir et être la part intime de son personnage, la part ineffable, celle qui fait du personnage un être humain, un être vivant. L'acteur doit trouver son personnage dans le processus du vivant qui correspond au vécu de ce personnage.
Voilà donc mon ambition, elle est de faire du "processus du vivant" un référentiel pour l'acteur.
Je nommerai donc tout naturellement le "référentiel narcissique" le référentiel que l'acteur partage avec son personnage.
Ce référentiel est la source du jeu, et un point d'ancrage pour chacune des interactions de l'acteur.
Le référentiel narcissique est cet endroit mouvant et organique
Où l'acteur et son personnage sont liés et confondus.
Je l'appellerai donc "référentiel narcissique" et je l'opposerai à la pensée et sa volonté, qui sont des formes de présence désincarnées. La pensée et sa volonté sont des référentiels dramatiques qui ne concernent pas directement l'être intime, mais plutôt son statut social, dans un rapport au monde plus politique que poétique, et échappant ainsi au lyrisme, seule source d'utopie compatible avec le vivant.
Je préciserai plus tard toute l'importance que j'accorde à réinvestir le terme "narcissique" et de le distinguer de la "perversion narcissique". Le narcissisme fait référence aux qualités vivantes et intimes d'un sujet, dans sa capacité à respecter un processus organique qui le fait être au monde. La perversion narcissique est le résultat d'un narcissisme perverti, dont l'usage aurait été détourné de sa fonction première. Les formes de perversion sont innombrables, mais il existe une forme vers laquelle tendre pour y échapper. Fuir la perversion narcissique est donc un souci de premier ordre pour l'acteur.
Je ne manquerai pas de proposer une lecture du mythe, pleine de bon sens et sans manichéisme, afin de réinvestir un concept qui manque cruellement à la pensée contemporaine :
S'identifier à son ressenti.
Le champ dramatique des référentiels narcissiques
Le référentiel narcissique est celui qui concerne l'acteur. C'est ce qu'il doit chercher à être et qu'il doit acter s'il veut être en mesure de vivre des états incarnés.
L'acteur doit acter sa présence en statuant son référentiel narcissique et le rendre à son contexte, son système, pour l'habiter avec justesse et légitimité, et il doit le faire sans aucune autre préoccupation.
Dans une interaction théâtrale doivent être au moins deux référentiels narcissiques,
Deux sujets d'une interaction dans leurs capacités à être, se manifester,
Dans leurs singularités, leur référentiel et leurs processus propre.
Cette interaction crée un champ, c'est le champ dramatique.
Le champ dramatique est le mouvement de la scène qui rend le moment prenant, captivant et plein de justesse quand il est investi laborieusement par l'acteur. C'est ce champ dramatique qui, au-delà des idées et des scénarios, fait du spectacle vivant un véritable spectacle. C'est ce champ que le metteur en scène doit chercher et ajuster en permanence.
Ce champ, cette matière première de la dramaturgie,
Il est le désir cosmique d'équilibre
Manifesté par l'économie des personnages
Dans la tragédie de leur contexte.
Si l'acteur n'a pas accès à son narcissisme, s'il le fuit ou l'évite, alors il compense avec la pensée et son calcul. Et s'il pense la nature de la relation, il prend le rôle du champ dramatique et finit par acter autre chose que lui-même. Il devient tyrannique. Son personnage quitte son ancrage organique pour ne plus être qu'une idée. Il dégage un propos politique plus que poétique. Ce propos, cette idée, appartient à l'acteur et non à son personnage. L'acteur n'est alors plus qu'un menteur, condamné au surjeu. Il devient un outil plus proche de la propagande qu'un mouvement vers la nécessité poétique de l'art. C'est ainsi, en forçant le jeu, et sortant de son champ de compétences, qu'il échappera manifestement à la beauté lyrique, à l'apparition d'une vérité au-dessus des lois humaines.
La beauté poétique est plus vieille que son humanité.
Il est erroné de dire que "tout est politique". Tout est peut-être politisable, sûrement même, mais parfois la création n'est seulement que poésie, et son pouvoir artistique est ainsi décuplé, car ce que la poésie finit par représenter est plus grand que l'humanité qui l'a fait naître. La représentation artistique devrait rester ainsi, un objet mystique, sans la figure religieuse ou politique, dans la grande question mouvante de l'être.
L'art définit le commun.
Le commun ne peut être un idéal.
Le commun se trouve là
Où l'acteur trouve son personnage, l'autre,
Dans leur désir à
Être vivant.
Être acteur, c'est donner du sens à "Je"
Acter, c'est faire valoir sa capacité à générer des traces dans le visible et dans l'invisible. Acter, c'est manifester son être dans l'exercice de son vivant. Acter, c'est se laisser affecter pour générer une réaction adaptée, propre à une expérience, une condition, une sensibilité et un tempérament.
C'est là faire valoir au monde une légitimité à être.
Acter ne peut se faire que sur le support du monde.
Acter c'est laisser dans l'histoire la trace invisible d'un processus qui transcende le corps et qui le fait être,
Qui trouve l'être et
Qui le fait participer au monde, qui
Le réalise.
Voilà ce que "Je" est
Et voilà ce qu'il signifie,
Voilà où le jeu trouve toute sa densité, voilà
La première pierre d'une histoire.
Nous sommes tous "Je".
Voilà où s'est logé le commun.
Je suis vivant.
Ce processus du vivant est la fonction d'une transformation permanente, moteur
Des métamorphoses du vivant.
Je suis mouvant.
De l'autre côté du monde, le chi.
Autour de moi le monde que je perçois.
De l'autre côté,
En moi
L'horizon de ma naissance.
Au fond de l'être est la blessure
Que ni l'esprit ni le corps ne peuvent toucher.
La paix.
La paix sans l'espoir, la paix
De jouir
Comme les
Narcisses, Ici
Là maintenant.
La paix de jouir
Le désir
D'orgasme
De l'équilibre
Au cosmos.
C'est la promesse dramatique
Du vivant.
C'est l'ambition que l'on confie
À chaque être naissant,
C'est la question philosophique
Résolue c'est
La mémoire
Dont l'acteur est le gardien.
La mobilisation de cette promesse dans notre capacité à être,
Elle est
La joie
Nue
Et originelle.
L'affect est l'intention croisée,
Qui engage l'équilibre vers l'harmonie,
D'un désir orgasmique d'un être polymorphe et mouvant
Avec un monde contrariant.