L'artistique et l'artificiel
L'art et le mouvant
Si l'art est une représentation, il est un mouvement entre une source et une adresse, entre
L'inspiration, l'expiration,
L'affect et le mouvement.
Deux référentiels absurdes, donc, qui interagissent par une multitude de sens et de directions.
Représenter le monde est une nécessité pour l'être humain, puisque c'est ainsi qu'il l'appréhende.
L'art est cette discipline qui crée les fondations d'une communauté dans sa nature sociale.
Ainsi l'art crée des formes à l'esprit.
Mais si l'art est un mouvement, avant même d'être une somme d’œuvres, il m'est important de lui trouver le mouvement qui me semble approprié.
C'est le mouvement qui m'importe, c'est le geste dont l’œuvre témoigne qui est m'est la véritable source d'empathie et de beauté.
Mais l'objet est ici le piège où s'engouffre l'esprits non averti, faisant de l'artificiel le principe artistique palpable, visible, réconfortant,
Suffisant et donc
Essentiel.
Pauvre esprit, pauvre joie.
L'artificiel est une conséquence du geste qui peut tout à fait n'être qu'accessoire.
La trace est une mémoire physique, elle est aussi la présence résiduelle d'une réaction passée tournée vers l'avenir. Ce sont les deux sens d'une même direction utopique.
Là ou la sensibilité au temps diffère,
L'artificiel se dédouble et
Chaque culture n'a plus qu'à se choisi un ordre de marche.
Ici je cherche à représenter le vivant par la discipline du théâtre et sa théâtralité. Dans un souci de justesse, il me faut trouver à cet art son juste mouvement.
Représenter le monde véritable ?
Ce serait une immobilité. C'est sortir l'être de sa responsabilité dans l'art. Il ne peut pas s'agir, dans ma quête, de faire de l'art pour l'art. Ma discipline serait comme une source de lumière bouclant sur elle-même, et qui deviendrait tellement lumineuse qu'elle serait impossible à regarder. Elle serait également incapable d'éclairer quoi que soit d'autre qu'elle-même ! Elle donnerait à l'artificiel un pouvoir quasi divin, d'une divinité qui aurait été bannie par ses enfants.
L'art deviendrait une dimension tout à fait autonome et absolument dégénérescente, jusqu'au trou noir.
En soi, le vivant se caractérise par son mouvant et dans sa capacité à être un champ d'abstraction et l'intrication dans l'investissement des interactions. Il ne supporte aucun immobilisme et c'est cela qu'il me faut représenter.
Se représenter dans le monde ?
Cela me laisse un sentiment de rétroaction. Être la source et finalement aussi l'adresse ? je serais ici le commencement et l'aboutissement d'un point, une immobilité plus vaste encore qu'un geste seulement technique. Ce serait ici faire l'éloge de ma propre condition plus que de mon vivant. C'est une tentation anthropocentrique primordiale, fruit d'un égocentrisme réflexe qui a été l'inspiration inconsciente d'un classicisme monarchique, grand patriarche d'une humanité en déclin. Il m'est impossible de représenter consciemment le vivant ainsi. Cela manque cruellement d'air et de libertés.
Représenter le monde pour l'utopie
C'est ici la fonction même de l'image, de la forme et de l'idée. En venant participer, par sa seule présence, à ma grande bibliothèque de l'imaginaire, la représentation participe ou participera fatalement à élaborer de nouvelles pensées, c'est son mouvement utopique intrinsèque. Cette proposition est trop naturelle pour être affublée de commentaires qui ne feraient que nuire à sa justesse.
Dans cette prise de conscience du mouvement intrinsèque de l'art, je découvre une supercherie :
Représenter le monde par stratégie
C'est ainsi que procède ma culture occidentale et capitaliste. En cherchant à maîtriser les flux de richesse, elle utilise la fonction de l'image, de la représentation, à des fins qui lui sont utiles. Il en résulte la représentation d'un monde arrangeant, factice, aux utopies axées sur les mémoires inconscientes, c'est à dire dystopiques, sans autre issue possible que la fatalité rassurante d'un monde qui, grâce au progrès, ne se dégradera pas,
Un monstre-monde dévorant.
L'humanité s'adapte au monde qui, à une autre échelle, est activé par l'humanité. La seule poésie devenue possible est celle de la correction et de l'amélioration d'un système ou le privilège du pouvoir écrase avec autorité. Aucune trouvaille ni révolution ne peuvent être tolérées. En perdant sa fonction utopique et mystique, l'art se défait de l'artistique au profit de l'artificiel. C'est ainsi que l'être perd lentement la conscience de son corps pour s'identifier plus aisément à des avatars, au mieux à son égo, qu'à ses propres organes et à ses sens. C'est ainsi que dans notre système actuel, l'artificiel finit par déconstruire le monde pour l'adapter à des nécessités économiques morbides.
Dans cette humanité les organes souffrent et sont en survie. Sous les couleurs d'un monde satisfait et content, la joie et le bonheur sont des espaces rarement investis, souvent inaccessibles.
Cela n'est pas une qu'une idée, c'est le constat après une décennie de cours et d'ateliers de théâtre, traversés de nombreuses pédagogies expérimentales, et partagés avec une grande diversité d'êtres humains mis en mouvement.
La nécessité de repérer et de se défendre de l'artificiel dans la formation de l'acteur.
L'artificiel supplante l'artistique quand la stratégie supplante la poésie.
L'artificiel est aujourd'hui plus grand qu'une simple description :
L'artificiel est une terre.
C'est l'artificiel qui, dans l'anthropocentrisme moteur, est devenu l'ambiance du monde,
C'est lui qui matérialise aujourd'hui les fantasmes, passant outre les désirs.
L'artificiel est gage d'hygiène, de civisme, de maintien du monde.
Il est un rêve coloré qui émerge des déserts,
Il est cet écran de fumée qui permet aux masses humaines
D'habiter le pouvoir des fous et
Avec l'immense satisfaction
De ne pas en être la proie.
L'artificiel, c'est le monde qui surjoue
Son déni face à sa tragédie.
L'artificiel est le jeu
Qu'on donne à nos enfants.
L'artificiel est la promesse plastique qui nous parle,
Qui nous dit que l'humanité peut vaincre sa propre nature,
Que l'individu peut être fabriqué.
L'artificiel est l'idéal d'un monde maîtrisé, qui ne bougera pas.
L'artificiel est le mouvement contraire de l'acteur.
Le surjeu n'est qu'une perfection publicitaire.
Il est pourtant tout à fait possible de créer des représentations qui ne sont pas artificielles.
Elles sont poétiques, chargées d'une utopie libérée qui ramène toujours au vivant.
Être humain non artificiel, c'est l'étrange et nouvelle obsession
Qui doit habiter l'acteur contemporain pour donner du sens à sa pratique.
L'artificiel est devenu l'ambiance matricielle des corrections à apporter dans les cours de théâtre. Qu'elle soit dans le jeu, l'émotion, l'imaginaire ou l'égo, la culture de l'artificielle initie avec une force insoupçonnée les phénomènes de désincarnation et de déresponsabilisation de l'être,
Déstructurant alors toute les qualités initiales de l'acteur.