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Aperçu du processus du vivant

Dans l'évidence du constat il est apparu une chose dont la banalité apparemment inoffensive attirait mon attention : 
Je réagis en fonction de ce que je perçois.
Combien de fois, dans mon rôle de professeur de théâtre, j'ai dû, de façon insouciante, répéter à la plupart de mes acteurs de regarder et se regarder pour qu'ils se laissent affecter par leur situation scénique. Et combien de fois j'ai dû les mobiliser dans leur responsabilité à être afin d'acter cela. 
C'est la fréquence de ces injonctions indispensables qui m'a laissé entendre que cela n'était pas aussi facile à acter qu'à penser.
Aussi vrai que cela devenait une évidence pour certains, ils ne représentaient pas la majorité des acteurs investis dans mes cours. Et c'est quand j'ai cherché à préciser, à formuler cette idée en concept intelligible, que je me suis aperçu des carences culturelles et lexicales liées au vivant. C'est en voulant rendre le mouvement du vivant fluide et intelligible que je me suis rendu compte qu'il était important de mieux l'étudier afin de proposer un outil pratique et essentiel dans le travail de l'acteur.

Partant du principe que la source était le corps perceptif et que la finalité devait être une réaction à ses stimulus, je savais que je cherchait un processus qui pouvait être représenté par un schéma, et, du coup, accessible à la pensée. Je savais aussi que j'allais devoir me confronter à des termes aux définitions variables comme les émotions, l'imaginaire, et tout un tas d'autres mots dont le sens s'est totalement perdu dans les usages populaires, scientifiques et mystiques.

Une fois libéré de mes déboires lexicaux, une fois une terminologie trouvée, je pouvais investir et décrire cette écologie de l'être, le "processus du vivant".
Pour initier mon étude, et ne pouvant échapper au ton métaphysique de mon sujet, je tenais à me préserver de la pensée mystique et des logiques alchimistes. Je devais donc commencer par étudier le corps comme la trace de l'être et avancer, depuis sa réalité physique, vers ses mouvements invisibles. J'ai eu comme soucis permanent que tout ce que je pouvais trouver devait être également valable pour les autres êtres vivants et, en secret, je pensais au ver de terre, au cheval et à mes pots de fleurs.
Je trouvais beaucoup de proximité avec les plantes et elles m'ont permis de comprendre que je ne devais pas utiliser les neurosciences comme fondement de mon analyse. Je devais même probablement même les éviter, tout comme la psychologie et autres spécificités liées à la présence de cellules nerveuses organisées. La psychologie devait rester une émanation de l'être, une image de son activité organique.
C'est ce qui m’a amené à aborder le processus du vivant comme un processus essentiellement organique, puis, ensuite seulement je devais chercher ce qui le liait à l'esprit humain. Ceci devait permettre à l'acteur d'échapper à sa propre psychologie dans son travail sur le personnage. Aussi, l'acteur devenant "seulement vivant" pour entamer sa transformation dans le personnage, je pus m'apercevoir de la puissance et des bienfaits que permettait alors la catharsis dans ce cadre épuré.

C'est en cherchant à distinguer l'organisme de sa psychologie que j'ai découvert un autre processus, un autre processus respectant les mêmes schèmes que le processus organique du vivant mais dans une autre dimension, dans la dimension abstraite de la pensée. Il était évident que l'être humain social devenait ce jeu d'influence entre ces deux dimensions, affiliées à la même fonction régalienne du vivant.
J'ai pu constater une indépendance évidente et de toute importance entre l'activité du corps et celle de l'esprit. Une indépendance relative néanmoins, car il y avait une transposition rigoureuse entre les schèmes organiques et les schèmes mentaux de ce processus. La précision de cette transposition révélait qu'un phénomène de synchronisation s'opérait nécessairement, par contact, à quelques endroits du processus, leur permettant d'agir et de réagir de façon coordonnée.
Je pouvais schématiser cela.
Les seules perturbations dans l'élaboration schématique de mon travail, à transcrire cette transposition de processus, venaient de ce vocabulaire français peu adaptés au sujet de mon étude. Mon objectif de pédagogue était d'élaborer une terminologie efficace. Je devais alors chercher un vocabulaire pertinent, quitte à réinvestir ses définitions, et puiser dans des concepts anciens ou étrangers pour retrouver une précision sémantique.

Il devenait alors de plus en plus clair que l'être humain social devenait ce jeu d'influence entre les deux dimensions, affiliées une seule et même logique régalienne du vivant. Même si cette idée, encore, pouvait paraître évidente, il était moins évident de la toucher. Quand j'y suis parvenu, ce fut pour moi une vive émotion et je me devais de ne pas me suffire à cela et chercher à en préciser tous les détails.

La façon dont interagissent ces deux dimensions, par leurs influences ou leurs abstractions, me permet de visualiser l'endroit où naissent les psychoses, les névroses, les tempéraments et tout ce qui, in fine, va constituer les singularités d'un individu dans son comportement.
En tant que pédagogue, ce processus est devenu un outil de lecture puissant pour faire progresser mes élèves, les ramenant sans cesse vers une pratique devenue concrète.
Pour un acteur, il devient un outil puissant pour l'élaboration de personnages, de dramaturgies, de mises en scènes, et de phénomènes empathiques. 
De part son adaptabilité universelle, il m'est également devenu un outil pertinent pour lire le monde et y porter un éclairage juste et radical. J'y ai donc également trouvé une forte source d'inspiration poétique et politique pour les pratiques littéraires, leur apportant un lyrisme évident.

Schéma du processus du vivant et sa transposition dans l'esprit 
En résumé, l'être perçoit son environnement. Par un phénomène de rythme et d'abstraction, il vit une musicalité qui lui permet de s'accorder à son contexte. Une fois accordé, il peut y adapter son désir où son besoin. C'est un ressenti phantasque qui, en devenant obsessionnel, peut être amené à la conscientisation. C'est à cet endroit précis que le corps se lie à l'esprit. Ce sentiment va puiser une mobilisation dans les fonctions primitives du corps et faire émerger une émotion. La pensée, si besoin, va être en mesure d'intervenir et canaliser l'émotion sous forme d'une volonté pour l'adapter aux règles sociales. Cette émotion est, et doit être, convertie en réaction. Elle doit être convertie en réaction s'il l'être veut échapper à la névrose burlesque. Cette réaction induit une trace concrète qui transforme l'environnement, ce qui offre au corps perceptif une nouvelle situation, pour un contexte devenu mouvant. C'est ainsi que le processus peut reprendre et boucler dans une présence actée dans son mouvement dramatique. 
Pour l'esprit ou plus exactement la pensée, ce processus organique du vivant a structuré son fonctionnement. La pensée s'agence d'images, de mots, de formes et d'objets, puisés dans un imaginaire qui constitue son paysage, sa mondiation. Les images de cette immense collection de souvenirs sont ensuite sélectionnés et amenés inconsciemment par la phantasia dans l'intuition, tout comme la musicalité organique permet la cohérence avec son milieu. Avec cette source d'images encore floues, la pensée va opérer un agencement syntaxique jusqu'à la formulation et l'entendement, créant ainsi un nouvel agencement, une nouvelle image, dans la mécanique illusoire de la logique. Cette logique est illusoire parce qu'elle dépend intrinsèquement de la mondiation, ainsi que des mécaniques lexicales et syntaxiques propre à une culture. L'information ainsi produite pourra nourrir la mondiation initiale, qui est ainsi métamorphosée, et participer à la grande bibliothèque de l'imaginaire. C'est ainsi que la pensée suit le même fonctionnement que son hôte organique. La nature objectale de la pensée permet d'amener au corps absurde une analyse plus précise et, par définition, plus objective. C'est par ce principe de double validation sentient-sapiant, que le corps et l'esprit sont en mesure d'offrir des comportements et des adaptations redoutables d'efficacité, redoutables et féroces. Dans une pondération déséquilibrée entre le sentient et le sapiant, la dualité sera aussi à l'origine des perversions humaines, source de tragédies.

Je peux maintenant m'amuser à regarder ce processus sur une plante ou un ver de terre et chercher les ressemblances pour approcher plus finement la justesse de ma recherche. 
Pour ce faire il me faut donner du sens. Je ne cherche pas, dans cette démarche, à justifier mon propos, mais à sentir plus étroitement ma proximité avec d'autres êtres vivants. Cette intention est totalement totémique, elle est aussi indispensable à ma morale, à ma discipline intellectuelle, qui cherche à correspondre aux lois qui m'ont fait être, bien au delà de mon humanité et de son autorité arriviste.
La plante perçoit son environnement (dans les mêmes phénomènes d'abstraction par le rythme que je développerai plus tard). N'ayant pas de système nerveux nous ne pouvons pas admettre qu'elle puisse avoir la même génération de ressenti mental, mais il doit exister une force d'analyse, plus végétative et qui, peut-être, ne nous serait pas totalement étrangère (cette idée n'est pas encore à ma portée). C'est cette affect qui lui permet de réagir à des évènements comme l'inclinaison du soleil, la luminosité, ou de vivre des émotions comme la floraison où la pousse des feuilles à l'arrivée des beaux jours. Ainsi elle s'adapte à son environnement. Il est fréquemment démontré qu'elle interagit avec ses semblables, mais aussi les champignons, quelques fourmis ou quelques oiseaux, des moustiques et plein d'autres présences symbiotiques. Elle s'adapte et réagit ainsi avec son environnement dans les mêmes schémas de cycles de perceptions et de réactions, vouées à l'interaction, et clairement dans une autre échelle, une autre perception du temps que mon esprit.
Pour le ver de terre, il est aisé de voir comment il se dépêche de s'enterrer dès que la peur lui prend d'être attrapé. Cela suffit à démontrer une émotion, puis une réaction, liées à une perception interprétée. Son impact sur son environnement est plus que considérable puisque la biomasse des vers de terre permet d'ameublir le sol qui devient poreux. Le ver facilité nettement l'infiltration de l'eau pour les plantes, et permet à sa propre nourriture de proliférer dans son milieu. De plus, son comportement symbiotique facilite le remplissage des nappes phréatiques et distribuent ainsi l'eau à la surface de la terre à tout moment de l'année. Cette intelligence passive est propre au vivant. Elle est l'intelligence poétique, onirique du faire quand le faire est le fruit d'un affect plus que d'une volonté.

Il me faut donc maintenant approfondir plus en détail ce schéma, et le contextualiser dans le travail de l'acteur.