Le corps perceptif et son environnement
Le corps est une perception en soi. L'âge de la Terre a fait surgir des molécules improbables. Certaines se sont avérées inadaptées à l'accueil du vivant. D'autres, au contraire, ont pu se stabiliser et s'agencer dans des formes organiques plus ou moins complexes. Notre simple présence organique est, dans une échelle de temps inintelligible, une forme perceptive du milieu terrestre, c'est à dire un mouvement directement influencé par son milieu.
C'est dans cette même inspiration que je commence naturellement ce "processus du vivant" par le mouvement qui l'a vu naître, sa phase perceptive.
La perception est la capacité inexorable de toute présence qui serait le fruit d'une adaptation. C'est la fonction primordiale qui a permis au vivant de s'adapter à son milieu. C'est la capacité directe ou indirecte, passive ou active, à percevoir qui a permis aux organismes de développer une infinité de formes et de mouvements.
Percevoir son environnement relève d'une métaphysique des interactions. C'est en cela qu'elle nous intéresse dans le cadre du théâtre. L'être humain n'échappant pas à sa nature, il est régie par les mêmes lois d'interaction organiques radicales que ce que l'ensemble du vivant. On ne peut pas trouver ailleurs que dans la nature l'origine de ce qui concerne l'être et ce qui en découle.
L'organisme doit pouvoir percevoir hors de lui mais il doit aussi se percevoir lui-même. S'il se perd dans l'un ou l'autre il ne pourra que disparaître. Et c'est entre ces deux informations que le perceptif peut devenir un champ, une tension où l'on peut observer un processus si familier qu'il nous est impensable de l'étudier. Ce processus, commun à toute présence vivante, nous laisse constater que les corps perçoivent, et qu'ils réagissent à cela.
L'acteur travaille à cela mais a-t-il déjà creusé cette question avec engouement et application ?
Si je veux percevoir, je dois naturellement travailler à affûter mes sens, apprendre et m'entraîner à cela. Pour l'entraînement il me faudra chercher des états de concentrations intenses, jusqu'à sentir dans l'abstrait
Le parfum de l'air,
La fréquence de la lumière,
La dureté du froid,
Le bruit composite d'une rivière,
Le parfum neutre de l'air seul,
La texture des reflets,
Le son d'une pierre,
L'espace entrer dans le temps.
Je ne cherche pas la vérité, Je cherche la justesse.
Le corps humain est quasiment entièrement perceptif. Il l’est de part les 5 sens les plus admis, mais il est possible de chercher plus d’ouverture. Si on accepte naturellement d’autres facultés perceptives, d’autres sens viennent compléter cette liste. Par-delà l’ouïe, le toucher, le goût, l’odorat et la vue nous pouvons admettre par exemple la kinesthésie, l’empathie, distinguer la couleur et la luminosité comme étant deux sens perceptifs différents, de la même façon distinguer les textures et les températures qui agissent différemment sur nos chairs.
Si je n'y parviens pas, c'est que les sensations internes de mon corps sont trop bruyantes. Pour mon entraînement perceptif je peux commencer à éteindre
Mes représentations,
Mes angoisses, mes anxiétés,
Ma volonté,
Et tout ce que le rêve de performance et d'humanité aura créé comme tension qui viendra saturer mon affect.
L'affect et cette antre précieuse et fragile où résonne le monde qui me plaît , cette coupe où se déguste les saveurs du vivant.
Aussi vrai que pour certain l'affect est un océan merveilleux, prêt à accueillir monstres et richesses,
Il est pour d'autre une vieille coquille creuse, étroite et au brou ténébreux.
L'acteur doit corriger cela au risque d'être condamné au registre de ses propres poèmes.
Travailler à aiguiser ses sens, sa lucidité et sa naïveté pour ouvrir son affect et rendre possible son immersion dans le mouvant.
Écouter ses sens, c'est se rendre disponible au monde.
À l'inverse, la volonté seule n'est qu'un échappatoire. La volonté remplace l'affect quand celui-ci est redouté, redouté en soi où dans ses conséquences. Il est important pour l'acteur et ses formateurs d'identifier ce qui verrouille l'affect sans quoi l'acteur ne pourra se défaire de son jeu mécanique, pris dans la psychose ou le surjeu.
Pour se défaire des représentations, il faut apprendre à valider ce qui est perçu sans chercher à le parler. Je ne dois rien commenter, ne rien mettre dans la dimension de la parole, et tout prendre. C'est seulement ainsi qu'une pomme perd son image commune, et redevient un fruit singulier, à la chair craquante et au jus sucrée, enveloppée dans cette fine peau d'écorce et gonflée par la sexualité d'un arbre pour l'offrir à un heureux messager.
Je pourrai alors constater que je deviens, que je deviens autre chose, quelque chose de présent, même si pas encore totalement acté.
Tenter de percevoir de nouvelles manières, c’est initier au plus profond du corps, la curiosité qui mettra un terme à la fatalité des impensables. Nous pouvons créer des perceptions et explorer de nouveaux référentiels, par le jeu poétique et à destination de la joie et parfois, par accident, nous trouvons des points de vue aux pertinences improbables pour s’immerger dans le concret, dans la philosophie, le lyrisme et découvrir, explorer de nouvelles « dimensions ». Il y a une dimension précise qui permet aux corps et aux esprits de recouvrer une liberté d’être et qui donne à la théâtralité une essence verticale, qui traverserait toutes les dimensions artistiques et humaines. Pour faire l’expérience de cette perception, il faut exploser les frontières mentales du corps mécanique et admettre que notre esprit interprète ce qu’il sent et que cela envoie au conscient une vision disséquée de ce que le corps perçoit entièrement. Pour qu’une pomme ne soit plus une pomme d’Adam coincée dans la parole des hommes, pour qu’une pomme ne soit plus seulement qu’une représentation surréaliste d’une mondiation, il faut faire l’effort d’y voir un fruit, puis une chair sucrée, et puis une présence animale en reflet. Et quand la pomme sera devenue une présence, le corps pourra enfin la contextualiser en ressentant en-delà de la pomme et l’environnement sensitif ne sera plus qu’un prolongement du corps perceptif et vivre pourra être assimiler à une danse référentiellement et multidirectionnelle, dans l’entière dimension du concret. La pomme sera déjà confondue en nous-même au-delà des chairs et la joie pourra acter la gourmandise et théâtraliser le repas. Devenir autre chose, c’est déjà émanciper son vivant par des actes poétiques, et le corps entier devient un seul et même sens, celui de fusionner avec son environnement.
Le sens est l’image du concret.
Le