Passer au contenu principal

L'artistique et l'artificiel

L'art et le mouvant

Si l'art est une représentation, elle est un mouvement entre une source et une adresse. Deux référentiels donc qui, dans leur interaction, permettent une multitude de sens et de directions. 

Représenter le monde est une nécessité pour l'être humain, puisque c'est ainsi qu'il l'appréhende. L'art est cette discipline qui créé les fondations d'une communauté dans sa nature sociale. Ainsi l'art créé des formes à l'esprit. Mais si l'art est un mouvement, avant même d'être une somme d’œuvres, il m'est important de lui trouver le mouvement qui nous semble approprié.

Ici je cherche à représenter le vivant par la discipline du théâtre, et dans un soucis de justesse, il me faut trouver à cet art son juste mouvement.

Représenter seulement le monde

Ce serait une immobilité. C'est sortir l'être de sa responsabilité dans l'art. Il ne peut pas s'agir de faire de l'art pour l'art dans cette quête. Ma discipline serait comme une source de lumière bouclant sur elle-même, et qui deviendrait tellement lumineuse qu'elle serait impossible à regarder. Elle serait également incapable d'éclairer quoi que soit d'autre qu'elle même ! L'art deviendrait une dimension tout à fait autonome et absolument dégénérescente, jusqu'au trou noir.

En soi, le vivant se caractérise par son mouvant et dans sa capacité à être un champ dans l'investissement des interactions. Il ne supporte aucun immobilisme et c'est cela qu'il me faut représenter.

Se représenter dans le monde

Cela me laisse un sentiment de rétroaction. Être la source et finalement l'adresse, je serais ici le commencement et l'aboutissement d'un point, une immobilité plus vaste encore qu'un geste seulement technique. C'est ici faire l'éloge de sa propre nature plus que de son vivant. C'est la tentation anthropocentrique primordiale, fruit d'un égocentrisme réflexe qui a été l'inspiration inconsciente d'un classicisme monarchique, grand patriarche d'une humanité en déclin. Impossible de représenter consciemment le vivant ainsi. Cela manque cruellement d'air et de libertés.

Représenter le monde pour l'utopie

C'est la fonction même de l'image, de la forme, de l'idée. En venant participer, par sa seule présence, à la grande bibliothèque de l'imaginaire, la représentation participe ou participera fatalement à élaborer de nouvelles pensées, c'est son mouvement utopique intrinsèque. Cette proposition est donc trop naturelle pour être affublée de commentaires qui ne feraient que nuire à sa justesse. 

Dans cette prise de conscience du mouvement intrinsèque de l'art, je découvre une supercherie :

Représenter le monde par stratégie

C'est ainsi que procède ma culture occidentale et capitaliste. En cherchant à maîtriser les flux de richesse, elle utilise la fonction de l'image, de la représentation, à des fins qui lui sont utiles. Il en résulte la représentation d'un monde arrangeant, factice, aux utopies axées sur les mémoires inconscientes, c'est à dire dystopiques, sans autre issue possible que la fatalité rassurante d'un monde en progrès. L'humanité s'adapte au monde qui, à une autre échelle, est activé par l'humanité. En perdant sa fonction utopique mystique, l'art se défait de l'artistique au profit de l'artificiel. C'est ainsi que l'être perd lentement la conscience de son corps puis s'identifie plus aisément à des avatars qu'à son propre organe, à ses sens. C'est ainsi que dans notre système actuel, l'artificiel finit par déconstruire le monde pour l'adapter à des nécessités économiques morbides.
Dans cette humanité les organes souffrent et sont en survie. Sous les couleurs d'une monde satisfait et content, la joie et le bonheur sont des espaces rarement investis, souvent inaccessibles.

La nécessité pour de repérer et de se défendre de l'artificiel dans la formation de l'acteur.

L'artificiel a supplanté l'artistique quand la stratégie a supplanté la poésie. 
L'artificiel est aujourd'hui plus grand qu'une simple description.
L'artificiel est omniprésent.
C'est l'artificiel qui, dans l'anthropocentrisme moteur, est devenu l'ambiance du monde,
C'est lui qui matérialise les fantasmes passant outre les désirs,
L'artificiel est gage d'hygiène, de civisme, de maintien du monde.
Il est un rêve coloré qui émerge des déserts, 
Il est cet écran de fumée qui permet au masses humaines
D'habiter le pouvoir des fous.

L'artificiel, c'est le monde qui surjoue
Son déni face à sa tragédie.

L'artificiel est le jeu
Qu'on donne à nos enfants.

L'artificiel est la promesse plastique que l'humanité peut vaincre sa propre nature.
L'artificiel est l'idéal d'un monde qui ne bougera plus.

L'artificiel est le mouvement contraire de l'acteur.
Le surjeu n'est qu'une perfection publicitaire.

L'artificiel est devenu l'ambiance matricielle des corrections apportées dans les cours de théâtre. Qu'il soit dans le jeu, l'émotion, les imaginaires ou les égos, la culture de l'artificielle initie avec une force insoupçonnée les phénomènes de désincarnation et de déresponsabilisation des acteurs. 
Il est tout à fait possible de créer des représentations qui ne sont pas artificielles. Elles sont poétiques, chargées d'une utopie libérée et ramènent toujours au vivant. Être humain non artificiel, c'est l'étrange obsession qui doit habiter l'acteur contemporain pour donner du sens à sa pratique.