Affect et MÉTAMORPHOSE, deux concepts moteurs et mouvants d'un référentiel narcissique
L'affect
L'affect est une capacité à accueillir une information perçue plutôt que de l'ignorer. Plus l'affect est ouvert, disponible, plus l'interaction avec ce que nous percevons est juste.
L'être est le mouvement entre deux affects. Nous nous laissons plus ou moins affecter par ce qui nous est extérieur, mais également par ce qui nous est intérieur. La rencontre de ces deux affects créent le champ nécessaire au mouvement abstrait de l'être vivant sur le modèle de l'infini et l'incommencé. Le processus du vivant est sans cesse dynamisé dans ces oscillations qui tiennent l'être au monde qu'il habite.
La nature de l'affect détermine les singularités individuelles et culturelles.
Si la perception de l'individu mobilise essentiellement l'affect de l’intériorité, celui-ci aura une tendance franche au narcissisme aigu, lui faisant redouter le monde extérieur. À l'échelle d'une société, un affect mobilisé sur les intériorité et rendu culturel invitera à une perception animiste ou totémiste du monde.
À l'inverse, un affect porté exclusivement sur l’extériorité invite des comportements psychopathiques, et développe des cultures analogiques ou naturalistes.
Pour l'acteur, ces deux extrêmes doivent être considérée comme des perversions de l'être, puisque l'être ne peut être qu'un mouvement d'équilibre entre ces deux affects.
Comment l'être pourrait-il être sans un contexte ?
Peut-on être autre chose qu'au monde ?
Qu'est-ce qui motive l'être à être ?
Est-il possible de vivre sans affect ?
L'affect détermine un jeu de perception et de construction de l'information. L'affect est ce qui va donner à l'être, par effet de cause, toutes ses singularités, en ce qu'il capte, en ce qu'il fait en sorte d'ignorer, et en ce que son désir lui somme d'acter.
L'affect est ce reliquat de ce qui est pris en compte par l'être, après l'abstraction libre de ses perceptions.
L'affect est un mouvement et comme tout mouvement, il est possible d'entraîner ses amplitudes.
Se laisser affecter est une intention, une patience, une mobilisation, une méditation, une concentration, une confiance en l'absurde et au mystère, un aveu de l'inconnu, une réhabilitation au présent.
L'affect est ce qui nous tient au monde et nous préserve de l'idée désincarnée ou de l'incarnation du vide.
Il est cette disponibilité que l'acteur doit être en mesure d'investir à la source de chacune de ses intentions. Il est ce qu'il doit définir pour son personnage, en amont de tout autre regard, toute autre étude ou investissement par le jeu. L'affect est la base nécessaire pour générer une interaction, il en est même le mouvement principal.
Sans affect, c'est la sidération.
Les déséquilibres dans l'affect créent des perversion narcissiques.
Quand l'affect à l’intériorité est rendue minimaliste, par la contrainte ou la saturation, l'interaction devient action seule, et l'action seule est dénuée de responsabilité, elle est dégénérée et tyrannique, d'une férocité propre aux prédations sans empathie
À l'origine
De toute tragédie.
Quand l'affect à l’extériorité est rendue minimalistes, par la contrainte ou la saturation, chaque réaction semble inadaptée, l'être est comme perdu dans une vie émotionnelle forte et irrationnelle. Il ne peut que subir, souffrir et ses actions seront souvent inappropriées.
L'affect pour la disponibilité de l'acteur, une source incontournable du jeu
Il est cette question permanente que l'acteur doit se poser à chaque instant. Il est cette question qui doit rester silencieuse, cette question qui doit rester ineffable et investie dans le corps comme une vigilance :
Qu'est-ce que c'est ?
Ou plus justement encore :
Qu'est-ce que ?
C'est là la musicalité du corps de l'acteur.
Parce que l'acteur ne sais pas,
Il découvre.
Il découvre le monde et se découvre lui-même dans l'imprévisible permanence du présent mouvant.
Lorsque l'acteur se demande ce qu'il doit faire, il faut qu'il se corrige dans le qu'est-ce, qu'est-ce que.
La comédie est d'abord une question de savoir être. Tout le savoir faire de l'acteur converge vers le savoir être.
L'affect est la condition incontournable qui doit être rendue disponible et aiguisée sans cesse.
Plus qu'une question formelle donc, cette interrogation, cet étonnement doit être cette disponibilité, mise dans un état cinétique et investi de responsabilités.
Qu'est cette présence en face de moi, qu'est cette manifestation en moi ? Quel est ce lien qui les unit ? Qu'est-ce que cela me rend ? Qu'est-ce que cela me procure ?
Cela, jusqu'à l'apparition d'une réaction involontaire devenue incontournable, seule rouage dramatique suffisant et nécessaire.
Quand l'acteur se demande ce qu'il doit faire, il se perd, il sort de son jeu pour des préoccupations mécaniques ou techniques totalement accessoires. C'est donc à cet endroit que l'acteur doit être entouré de présences et de moyens qui pourront le décharger du soucis de la volonté, du soucis de faire. Le dramaturge fait, le metteur en scène fait, le régisseur fait, l'acteur ne devrait plus avoir qu'à être.
Dans la formation de l'acteur, il est important d'entendre quand l'élève exprime qu'il n'a pas su quoi faire, et le corriger sans négociation, pour éduquer son esprit à être et non à faire.
L'acteur doit être en mesure de se laisser affecter par son intuition, sans quoi il ne pourra sortir de sa volonté, une volonté matricielle trop humaine, inappropriée. Il doit également se laisser affecter par ses pulsions de réaction, générées depuis le corps, afin de les acter.
L'affect est non seulement invité dans le perceptif, mais dans l'émotif et, finalement, dans chaque mouvement et dans chaque étape inconsciente et consciente du processus du vivant exposé ici.
Mes singularités à être, ma psychologie entière n'est peut-être que la cause d'un affect respectant une expérience singulière, des environnements particuliers, des interdits propres et des impensables précis..
Lorsque tout reste inconscient, tout reste présent
Représenter le vivant c'est chercher à être dans sa précision, sa justesse. C'est se tenir dans le vif de ce qui caractérise le vivant. Cette ambition ne peut se calculer dans l'exercice limité de la pensée qui, de plus, échappe par son essence au présent mouvant.
Pour toucher à la justesse du jeu, tout savoir et toute connaissance doivent être validés par les sens puis apprivoisés par l'être dans l’expérience du vécu.
Toute intention prévue, tout projet, toute technique nécessaire doit être préalablement compressé dans l'évaporation et diffusé dans le corps. Puis, pour être jouée, cette vapeur doit nourrir les mouvements de l'enthousiasme et du plaisir.
Le processus doit réintégrer les sens, il doit être repéré, retrouvé presque poétiquement, et mobilisé
Comme un seul mouvement inconscient,
Dans le simple plaisir de jouer, dans
La justesse qu'offre l'amusement à être.
Pour être tout à fait honnête, ce que je peux observer est que cette notion, bien connue des formateurs au théâtre, demande un travail souvent étalé sur des années, des décennies sans aucune assurance de réussite.
Engager une vocation à être comédien, un acteur, est une entreprise qu'il faut aborder avec un grand désir de travail et d'introspection. Contrairement à quelques idées reçues, le théâtre est une discipline aux talents rares et à l’exigence dure, et qui demande une endurance certaine à l'abstrait.
La théâtralité
Ce n'est que du savoir être,
C'est un savoir être exigeant de justesse.
Au bout de l’intériorité
Si l'affect devient cette force d'équilibre qui fait l'être entre ce qui lui est extérieur et ce qui lui est intérieur, quel est cet espace mouvant, cet espace du dedans ?
Quelle est la nature de cette intériorité ?
Si l'affect ne permettait seulement que d'accueillir les informations extérieures, il ne serait que perception mécanique de l'information.
L'affect doit également être mobilisé vis à vis du corps lui même ! On peut alors aisément constater que les sens perceptifs ici ne suffisent plus, et qu'il s'agit d'une autre forme d'attention, d'une autre forme d'écoute, et d'une autre forme d'affect. C'est ici un affect qui écoute les mouvements d'intériorité de l'être, son intériorité organique, mais aussi son intériorité empirique, son intériorité rythmique, psychique,
Là
Où la vérité n'est qu'intimité.
L'intimité est un univers plus concret encore que le toucher. Par le biais de phénomènes inconscients il est en mesure, parfois, souvent même, de régir des vies entières. Il a plus de répercussions sur nos vies que notre simple volonté. Faire l’expérience de l'admettre, c'est constater la puissance de cette assertion.
Ici tout est invisible et mouvement, tout est intuition, conscientisation perpétuellement renouvelé. C'est un univers absolument déstabilisant pour celui ou celle qui tenterait de comprendre son existence par des faits ou autre vérités immuables.
L'affect de l’intériorité est une maturité de l'être qui donne accès au jeu théâtrale.
Au fond de cette intimité il y a l'évidence que l'être, par son corps, a été emporté dans la musicalité du monde. Il est une joie qui n'est pas une émotion mais une source, il est un désir qui n'est ni une volonté ni un besoin mais un orgasme en cours, il est cette chose si engageante qu'elle façonne le vivant et fait du suicide la question philosophique propre à l'humanité.
Celui qui cherche son intériorité doit chercher une joie.
Cette joie matricielle,
C'est la source de l'acteur.
L'affect de l’intériorité n'est que l'écoute de ses manifestations dans
Ses contraintes et
Ses déformations,
Afin de les résoudre.
Ainsi l'autre, dans l’extériorité, contraint la joie intime et là
L'être, le champ de l'être,
Est le mouvement
Des résolutions.
Ainsi l'interaction est la caractéristique du vivant, de l'être singulier jusqu'à sa société toute entière ;
C'est la règle première de la théâtralité et le propos même du théâtre. L'acteur doit donc travailler en ce sens et apprendre à se considéré comme l’écho de son environnement.
"Je" traite, indirectement, de tout ce qui m’affecte.
"Je" et le monde sont ainsi rendu indissociable pour la dramaturgie.
Dire "Je" doit être l'expression d'un contexte depuis un référentiel singulier.
Cet équilibre se trouve dans un état de cohérence, un sentiment paisible où l'affect peut être purement libéré, dans la quête orgasmique d'une harmonie insensée.
Vers une double validation des affects
Ce double sens montre que l'être est le champ révélé entre deux sources ~ inconscientes. Une source extérieure et une autre source intérieure. C'est ainsi que l'être sera aura besoin de valider doublement chaque manifestation qui se présente à lui. Une validation par la vérité et une autre par la beauté.
L'acteur doit se rendre disponible à la justesse
Il doit écouter son instrument pour le rendre à son public dans la conscience de sa représentation.
L'affect est une disponibilité à se laisser traverser en toute conscience,
Il est la source du jeu.
L’esprit, la pensée, n'est que la manifestation de cette intériorité. Quand l'individu, l'acteur, privilégie sa pensée au dépend de son rythme intérieur, de sa musicalité et de son écoute, il est alors en proie à la dissociation.
Lorsque l'acteur manifeste un état même subtil, il doit être en mesure de donner toute l'expressivité que nécessite cet invisible. Ainsi lorsqu'une joie, un conflit, un doute paraît, l'acteur doit être en mesure de le rendre, de le rendre disponible à son extériorité. Sans ce phénomène de rebond propre à l'acteur, l'être ne serait plus en mesure de faire valoir, dans l'échange d'une interaction valable, sa capacité à influer sur son environnement et à participer au système qu'il habite.
Ce rebond est destiné à l'échange, à l'économie de la relation, où chacun des référentiels est habité par un processus qui absorbe, digère, transforme la situation, se l'approprie jusqu'à se confondre avec la situation même, parfois jusqu'à l'identification.
Chaque interaction transforme les protagonistes. L'interaction théâtrale est l'écologie qui s'opère entre deux référentiels narcissiques, dans des transformations adaptées, Deux référentiels qui cherchent l'équilibre et la paisibilité des corps.
Dans l'exercice du vivant comme du théâtre, nous ne pouvons pas passer outre le respect. Être vivant, c'est par essence être dramatique, c'est être dans l'autorité d'une nature qui nous confine à l'interaction et au mouvement, à la transformation et la métamorphose. Ne pas respecter la préciosité d'une interaction, c'est fuir notre responsabilité d'être vivant.
Cela est une vérité préhistorique ! Le chasseur-cueilleur ne peut manger la proie qu'il a chassé. Pour la chasser, il a dû mobiliser tout son affect dans une empathie qui lui a permis de la traquer jusqu'à l'épuisement. Lié par l'affect avec sa proie, le sentiment de cannibalisme est parfois trop fort et nombreuses sont les communautés animistes qui, culturellement, invitent les chasseurs à offrir le produit de leur chasse plutôt que de le manger.
Je propose à l'acteur une lecture de son corps pour qu'il soit en mesure d'affiner son affect, de le préciser afin de mieux le diriger dans le jeu et pour qu'ainsi, les manifestation visibles de son être puissent participer au mieux à l'investissement du vivant et à l'incarnation validante de ses interprétations.
L'affect et l'abstraction
Sur l'impensable et l'interdit
Ce sont des présences manifestes à l'affect qui ont été rendue à la forge du somatisme.