Affect et métamorphose, deux concepts moteurs et mouvants d'un référentiel narcissique
L'affect
L'affect est une capacité à accueillir une information perçue. Il est, par extension, ce qui nous permet une interaction juste avec ce qui nous percevons.
Comment l'être pourrait-il être sans un contexte.
Peut-on être autre chose qu'au monde ?
Comment l'être peut-il acter, dans un mouvement dicté par son environnement, sans avoir été animé par ce qui lui est nécessaire ? Quelle est cette nécessité, ce désir, qui demande également l'attention de mon affect ?
Si l'affect devient cette force d'équilibre, entre ce qui m'est extérieur et ce mystérieux désir qui m'est intérieur, quel est cet espace mouvant, cet espace du dedans qui les lie et que je suis ?
Que devient cet appareil dans l'abstraction de mon affect ?
Il est une liberté, consciente ou inconsciente, à prendre en compte son environnement dans son processus à manifester son être. Il est l'intervention des lois cosmiques de l'abstraction et de l'intrication dans l'exercice du vivant.
Se laisser affecter est une intention, une patience, une mobilisation, une méditation, une concentration, une confiance en l'absurde et au mystère. Il détermine un jeu de perception et de construction de l'information. L'affect est ce qui va donner à l'être, par effet de cause, toutes ses singularités, en ce qu'il capte et en ce qu'il fait en sorte d'ignorer, en ce que son désir lui somme d'acter.
L'affect est ce reliquat de ce qui est pris en compte par l'être, après l'abstraction libre.
L'affect est ce qui nous tient au monde,
Il est cette disponibilité que l'acteur doit être en mesure d'investir à la source de chacune de ses intentions. Il est ce qu'il doit définir pour son personnage, en amont de tout autre regard, toute autre étude ou investissement par le jeu. L'affect est la base nécessaire pour générer une interaction, il en est même le mouvement principal. Sans affect, l'interaction devient action seule, et l'action seule sera désaffectée et tyrannique, cette férocité propre à la prédation humaine.
L'affect pour la disponibilité de l'acteur, une source incontournable du jeu
Il est cette question permanente que l'acteur doit se poser à chaque instant. Il est cette question qui doit rester silencieuse, cette question qui doit rester ineffable et investie dans le corps comme une vigilance :
Qu'est-ce que c'est ?
Ou plus justement encore :
Qu'est-ce ?
C'est là la musicalité du corps de l'acteur.
Parce que l'acteur ne sais pas,
Il découvre.
Il découvre le monde et se découvre lui-même dans l'imprévisible permanence du présent mouvant.
Plus qu'une question formelle donc, cette interrogation, cet étonnement doit être cette disponibilité, mise dans un état cinétique et investi de responsabilités.
Qu'est cette présence en face de moi, qu'est cette manifestation en moi ? Quel est ce lien qui les unit ? Qu'est-ce que cela me rend ? Qu'est-ce que cela me procure ? Cela, jusqu'à l'apparition d'une réaction devenue incontournable.
Quand l'acteur se demande ce qu'il doit faire, il se perd, il sort de son jeu pour des préoccupations mécaniques ou techniques totalement accessoires. C'est donc à cet endroit que l'acteur doit être entouré de présences et de moyens qui pourront le décharger du soucis de la volonté, du soucis de faire. Le dramaturge fait, le metteur en scène fait, le régisseur fait, l'acteur ne devrait plus avoir qu'à être. Dans la formation de l'acteur il est important d'entendre quand l'élève exprime qu'il n'a pas su quoi faire, et le corriger pour éduquer son esprit, dans les moments de jeu, à être et non à faire.
L'acteur doit donc être en mesure de se laisser affecter par les réponses données sous forme d'intuition, sans quoi il ne pourra sortir d'une volonté, une volonté inappropriée quand celle-ci est devenue matricielle. Il doit également se laisser affecter par le désir de réaction, généré depuis le corps, pour acter cela.
Je commence à percevoir que l'affect est non seulement invité dans le perceptif, non seulement invité dans l'émotif, mais aussi, finalement, dans chaque mouvement et dans chaque étape inconsciente et consciente de mon processus du vivant.
Lorsque tout reste inconscient, tout reste présent
Représenter le vivant c'est chercher à être dans sa precision, c'est se tenir dans le vif de ce qui caractérise le vivant. Cette ambition ne peut se calculer dans l'exercice limité de la pensée qui, de plus, échappe par son essence au mouvant du présent.
Pour toucher à la justesse du jeu, tout savoir et toute connaissance doivent être validés par les sens puis apprivoisés par l'être. Toute intention prévue, tout projet, toute technique nécessaire doit être compressé dans l'évaporation et diffusé dans le corps dans les mouvements de l'enthousiasme et du plaisir. Ce processus doit être réintégré dans les sens, il doit être repéré, retrouvé presque poétiquement, et mobilisé
Comme un seul mouvement inconscient,
Dans le simple plaisir de jouer, dans
La justesse qu'offre l'amusement à être.
Pour être tout à fait honnête, ce que je peux observer est que cette notion, bien connue des formateurs au théâtre, demande un travail souvent étalé sur des années, des décennies sans aucune assurance de réussite.
Engager une vocation à être comédien, un acteur, est une entreprise qu'il faut aborder avec un grand désir de travail et d'introspection. Contrairement à quelques idées reçues, le théâtre est une discipline aux talents rares.
La théâtralité
Ce n'est que du savoir être,
C'est un savoir être exigeant de justesse.
Une dynamique à double sens
Si l'affect permet seulement que d'accueillir les informations extérieures, il n'est que perception de l'information. L'affect doit également être mobilisé vis à vis du corps lui même ! Lorsque mon état inconscient manifeste une tension, une détente ou quoi que ce soit d'autre de remarquable, l'acteur doit être en mesure de lui donner toute l'expressivité que cet invisible nécessiterait. Ainsi lorsqu'une joie, un conflit, un doute paraît, l'acteur doit être en mesure de le rendre, de le manifester. Sans ce phénomène de rebond propre à l'acteur, l'être ne serait plus en mesure de faire valoir, dans l'échange d'une interaction, sa capacité à influer sur son environnement.
Ce rebond est un échange, une économie dans la relation, ou chacun des deux référentiels est habité par un processus qui absorbe, digére, transforme la situation, se l'approprie jusqu'à devenir presque la situation, puis la rend dans une forme où l'être y aura laissé sa trace, son empreinte. C'est une négociation qui s'opère entre deux référentiels narcissiques, dans une économie qui cherche l'équilibre et la paisibilité des corps.
Cet équilibre se trouve dans un état de cohérence, un sentiment paisible où l'affect peut être libéré purement, dans la quêtre orgasmique de chaque être vivant.
Ce double sens montre que l'être est le champ révélé entre deux sources ~ inconscientes. Une source extérieure et une autre source intérieure. C'est ainsi que l'être sera aura besoin de valider doublement chaque manifestation qui se présente à lui. Une validation par la vérité et une autre par la beauté.
L'acteur doit se rendre disponible à la justesse
Il doit écouter son instrument pour le rendre à son public dans la conscience de sa représentation.
L'affect est une disponibilité à se laisser traverser en toute conscience,
Il est la source du jeu.
Je propose à l'acteur une lecture de son corps pour qu'il soit en mesure d'affiner son affect, de le préciser afin de mieux le diriger dans le jeu et pour qu'ainsi, les manifestation visibles de son être puissent participer au mieux à l'investissement du vivant et à l'incarnation validante de ses interprétations.
L'affect et l'abstraction
Sur l'impensable et l'interdit
Ce sont des présences manifestes à l'affect qui ont été rendue à la forge du somatisme.