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Représenter le vivant, une intention artistique

L’art est une discipline qui crée des représentations du monde pour le rendre intelligible,
Ni plus, ni moins.
Toute amélioration de cette définition radicale ne peut être que commentaire accessoire.

L’art est une discipline qui crée des représentations du monde pour le rendre intelligible.
Cette définition offre une simplicité qui peut rendre sceptique, mais elle est assez radicale pour permettre à mon esprit de concevoir chaque évènement conscient comme un évènement digne d'intérêt, un évènement pré-artistique, chaque événement remarquable est l'image d’une chose invisible. L'art est cette discipline qui invite l'être à transposer le cosmos dans son univers de représentation. L'art est soit dans invention, soit dans la trouvaille.
Si l'oeuvre est une invention, elle est l'intervention de l'artiste dans la matière culturelle. 
Si l'oeuvre est une trouvaille, elle est l'intervention du cosmos dans l'inspiration du poète. C'est la fonction poétique qui permet à la culture d'être inclue dans la régie du monde et de ne pas dégénérer dans l'excès politique.

Affirmer que tout est art, dire qu'une toute manifestation est artistique, est une récupération politique sans acte poétique. C'est l'intention première de l'anthropomorphisme.
Le poète et le politique ont en commun qu'ils créent des utopies. Seule la nature de leur inspiration diffère. L'intuition du poète est un message venu du mouvant. L'ambition du politique est une récupération, une médiatisation de son interprétation.

Une image n'est pas son sujet. L'image est un objet, le masque interprétant le sujet. 
Le mot écrit "cheval" est l'image du mot parlé "cheval" qui est l'image d'un cheval. Un cheval a une odeur, une singularité, une intention, un mouvement, un contexte et une histoire, et parfois même il a un nom. Le mot cheval ne sera jamais un cheval. Et pourtant quand je lis le mot cheval je vois un cheval. Mais je ne vois qu'un faible contour de ce cheval, une figuration nourrie de souvenirs subjectifs plus où moins nombreux. Le mot cheval est l'outil de ma pensée. Grâce à ce mot je peux penser une phrase et la dire. En disant cheval mon interlocuteur comprend qu'il s'agit d'un cheval et se figure un cheval qui ne ressemble en rien au mien.

Un jour, un artiste sculpta un magnifique cheval dans le marbre et l'installa devant le chateau du roi. Depuis ce jour le mot cheval se figurait de la même façon dans les esprits de tous les sujets du roi. Toutes les peintures et tous les récits du royaume mentionnait des chevaux lourds et immaculés. Comprenant cela, le roi a fait refaire la statue de marbre. Il a demandé à l'artiste un cheval plus fort, volontaire et vigoureux, et il a fait graver son nom sur le flanc de la bête. Il était difficile pour les habitant du royaume de parler de cheval sans penser au roi. C'est ainsi que le roi est devenu dans l'inconscient collectif un cheval fort et vigoureux, et que Le Cheval devint son surnom populaire.
Voici comment l'art a pris du sens dans nos vies. L'art a toujours été le ciment d'une société. Nous avons de tout temps représenté des dieux, des êtres et des danses, des paysages et tout ce qui était perceptibles pour consolider les liens communautaires et donner de la cohérence au mouvements des peuples.

Pour l'artiste, représenter a cassé une illusion, cassé une idée de la connaissance qui n’aurait jamais été remise en question. L'artiste vient, par le biais d’une œuvre d’art, de changer une forme, une figure, une substance et une réflexion. Une alternative insoupçonnée qui est offerte dans la beauté d’un sens qui nous dépasse. Et cela a modifié la pensée même qui forgeait tout un monde d'illusion. C’est là le pouvoir de l’art sur l’individu et sur sa confrontation au monde. Ce n’est pas tant une alternative qui vient éblouir le spectateur de l’œuvre, mais le sentiment qu’une chose immuable a été atteinte et modifiée. Cette idée d’offrir au convenu une annihilation essentielle, ouvre à l’esprit et au corps une inspiration extrêmement vivifiante, un soulagement émancipateur et libérateur. C’est ce sentiment qui, en devenant pour certain une nécessité, fait les artistes. Et c'est dans cette transformation du monde qu'offre l'art que l'art est un mouvement.

Dans ce même village il y avait un petit bonhomme, un être sans aucune promesse et au passé vide. Ce bonhomme avait un cheval maigre pour seule richesse, et surtout seul compagnon. Il était embêté parce qu'à chaque fois qu'il parlait à son cheval il avait une pensée pour le roi. Dans la nuit, il assemblât un épouvantail qu'il fit de paille et de bois verts, il le portât sur le dos de la statue de marbre et lui ajouta une couronne trop lourde avec des restes de bouteilles. Un oignon coupé en deux lui faisaient deux yeux pleins d'absence.
Ce bonhomme voulait amener l'mage dans une représentation plus juste et plus sincère. Il avait trouvé une vérité évidente et invisible qu'il voulait partager.
S'il existe une différence entre un artiste et un poète, elle se trouve à cet endroit précis.

L’art est une discipline qui crée des représentations du monde pour le rendre intelligible,
La poésie rend à l'art sa légitimité.

L’art a donc un mouvement, et une fonction. Il connaît plusieurs acteurs dans le processus de son mouvement, plusieurs schèmes anthropomorphiques : Le poète, l’artiste, l’artisan, le politique, le mystique. Le poète trouve, l’artiste représente, l’artisan diffuse et le politique interprète pour négocier les utopies du poète et les porter dans l'échelle sociale.
Mon propos n'est pas de hiérarchiser une discipline, rares sont les artisans qui ne sont pas artistes ou poètes, mais je cherche à démontrer que l'art est animé d'un mouvement d'un processus et 
Qu'il n'est donc pas un objet.

La poésie cherche à trouver, sans savoir quoi ni où, elle cherche jusqu’à l’apparition d’une beauté, d’une évidence. Le poète alors lui donne une forme pensée, que l’artiste, dans sa technique portera dans une forme idéale et universellement intelligible. L’artisan portera le concret dans l’utile et assurera sa diffusion vers le commun. Le politique agencera les utopies mises en mouvement.

En créant une image artistique, l’artiste imprime une mémoire qui devient alors le mouvement d’une utopie. L’utopie, c’est la trace du futur dans le souvenir. Tout ce qui commence, ou a commencé à exister, vient interagir et vient occuper l’espace ou le temps pour participer au futur, à l’avenir. Une seule chose peut entraver la fatalité : une autre fatalité.

Représenter le vivant est un enjeu artistique permanent et radical. Le vivant habite tout ce qui est précieux dans l’histoire comme dans l’avenir, tout ce qui est précieux au présent. Le vivant est précieux dans tous les domaines, toutes les dimensions ou l’être humain s’émancipe. Le vivant est comme un champ qui donne son mouvement à tout ce que nous sommes et tout ce qui nous émerveille depuis la nuit des temps. Il est une furieuse obsession pour chacun de ses représentants. Représenter le vivant, c’est s’abandonner dans ses traces inconscientes pour tenter de le voir toujours plus justement. C’est le principe de la divination. C’est donc lui donner une intention plutôt qu’une forme. La forme doit apparaître malgré soi pour être indiscutablement juste.. Tout ne doit être que mouvement et souvenir, trace, impression, et la forme ne doit être constaté que dans le vif, vécue et jamais pensée. Elle doit rester une mémoire surréaliste, invisible, omniprésente, hors du langage pour être à sa bonne place, pour rester une jubilation, une veille, une nature mouvante et polymorphique. Le polymorphisme est la seule forme acceptable pour le vivant.

Nous essaierons autant que possible de fuir les natures finies, de former des contours pour enfermer les essences dans des objets, et de figer les mouvements dans des origines ou des conséquences. Pour le théâtre, nous supprimerons donc toute convention, tous les codes superflus, pour ne garder que le respect que de trois theatrons, et d’une théâtralité, qui ne sera rien d’autre qu’une science des interactions.