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Le rythme, le pattern et la musicalité

Percevoir est notre lien premier à notre environnement et notre situation. Mais chaque contexte est extrêmement riche d’informations, de matières, d’odeurs, de couleurs, de formes, de mouvements… Il nous est impossible de ne pas se laisser submerger par l’information si nous ne pouvons en faire le tri, un minimum.

Pour cela le corps se plonge dans un présent mouvant, d’où nous finissons par percevoir des persistances et des répétitions, des rythmes. Et alors notre organisme par des phénomènes de reconnaissance d’équivalence et de quantité, crée de simples ensembles. Ces ensembles vont être traités comme des présences remarquables. Une série de brique devient un mur, une épaisseur de feuilles mortes devient un sol d’où seront repérables les plantes et les champignons, un vif battement devient un son, le flot de pression devient un courant. Et ainsi tout est interprété dans son juste mouvement, nous laissant au passage le souvenir d’une essence dont il a été fait abstraction.

Cette superposition d’abstraction et d’intrication au profit d’ensembles se fait parfaitement inconsciemment. Et pour créer l’abstraction nécessaire à cette concentration, le corps tend à « devenir » le rythme, se mettant dans un état de cohérence avec l’ambiance perçue. Cet état à être en symbiose avec ce que nous percevons par la musicalité des rythmes nous permet de nous y concentrer organiquement. L’activité électrique générée par les organes sensitifs se répand dans le reste du corps harmonisant ainsi l’être entier avec sa situation et son contexte.

C’est ainsi que l’être humain s’est passionné pour les formes. Car ces ensembles sont des formes. Ces formes nous rendent le monde intelligible et en créant ce type de forme en permanence, notre corps invite l’esprit à développer sa compréhension du monde. Grâce à l’implication évidente du corps organique, les formes générées sont toujours restées des mouvements.

Ce phénomène est tout à fait inconscient et demande une forte et permanente participation du corps dans une de ses fonctionnalités fondamentale et rarement décrite : les états de pattern. Les états de pattern sont une ambiance organique, un rythme devenu par le corps. Ce rythme va influencer toute la suite d’un processus du vivant en lui donnant une direction forte que je continuerai ici d’appeler une musicalité. Les musicalités s’observent concrètement dans les démarches, les attitudes, et dans les réactions absurdes elles apparaissent comme l’apothéose du climax de cette musicalité. Dans le théâtre burlesque cette notion de pattern est puissamment travaillée. C’est la musicalité qui devient identitaire pour le personnage, plus que son statut. Un personnage sera facilement identifié grâce à sa manière singulière de s’animer dans une musicalité tenue.

La musicalité est cet état de pattern, nourri par le contexte, qui nous donne la couleur de chacune de nos intuitions, qui oriente notre perception, notre affect, et qui fait émerger les souvenirs adaptés. La musicalité définie la fantasia pour diriger l’imaginaire avec efficacité. L’état de pattern volontaire s’appelle la concentration. La musicalité qu’offre le pattern est cet état nietzschéen qui permet à l’être de s’accorder justement avec son contexte et son mouvement.

Cette étape permet de faire devenir le corps et l’être tout entier dans un état fusionnel avec son contexte et sa situation. C’est donc une étape nécessaire pour n’importe quel acteur, qu’il soit artiste du spectacle vivant ou encore poète ou politicien. Et cela pose la question de l’affect dans le travail de l’acteur. L’affect est souvent une correction importante à apporter à l’être occidental contemporain. Celui-ci bride régulièrement son affect afin de ne pas se laisser submerger par ses intuitions inconscientes. Cette bride lui permet de rester efficace dans son environnement exigeant de rationalisme et d’efficacité. Ainsi nous avons une forte tendance à nous désaffecter de nos perceptions, par cette dissociation du corps qui nous permet de rester dans la simple fiction sociale et économique. Un affect vigilant, profond et sans cesse disponible, en mouvement voire mouvant, est une nécessité fondamentale pour l’acteur. L’acteur clown parlera volontiers de naïveté, pour éclairer l’idéal de croire tout ce qu’il ressent. Mais cette naïveté ne peut être un objet volontaire, le clown doit se fondre en elle pour qu’elle puisse être cette musicalité qui ne se trouve que dans l’abstraction du souci qu’on pourrait en avoir.

La méditation est un excellent moyen d’approfondir et affûter son affect. Croire en chacune de ses perceptions, c’est embrasser son corps inconscient et l’aider à être conscientisé dans la naïveté ontologique du vivant.