Le processus du vivant
Être vivant n'est pas qu'une attribution fataliste d'une définition qui permet d'aborder les questions biologiques et écologiques.
Être vivant est un mouvement. C'est la caractéristique qui fait l'être, au-delà et en deçà de sa forme organique.
Pour l'acteur qui travaille à développer un jeu pertinent pour tous les publics,
Être vivant ne peut plus être une seule qualité mystique qui varie selon les cultures.
Il faut donner à l'acteur une approche intelligible dans sa recherche. L'acteur doit pouvoir cibler son corps avec justesse quand il travaille. Il doit pouvoir s'appuyer sur une base fiable, pertinente, simple à l’évidence, et éprouvée.
C'est dans cette intention que j'ai cherché pendant des années à préciser l'instrument de l'acteur. J'ai cherché avec un grand souci de justesse et de radicalité pour offrir à mes élèves un outil qui soit précis et libérateur dans la créativité.
Comment aborder son corps pour pouvoir laisser jaillir le vivant ? Où concentrer son étude de soi pour préciser la nature du jeu et s'y émanciper ?
Une réponse m'a été permise quand j'ai réussi à réfléchir le vivant dans sa matière invisible, dans la matrice du mouvant.
Lorsqu'on a été en mesure de valider que l'objet est une illusion et que tout n'est finalement plus qu'une somme de champ, on peut déjà entrevoir ce qu'être vivant n'est pas.
Être vivant n’est pas seulement être en vie. Ce n'est pas une idée finie. Être vivant n'est pas une fatalité, offerte par un dieu ou un parent. Être vivant n'est pas un concept délirant qui serait le fruit d'une lubie philosophique dans l'exercice exigeant d'une pensée rigoureuse.
Ce serait là une approche mécaniste, objectale ou scientifique mais surtout
Figée, prise au piège de la pensée et ses limites.
De plus, la question "Qu'est-ce qu'être vivant" dépasse l'épreuve de la philosophie quand cette question nous amène à comprendre que la réponse ne se parle pas mais s'éprouve. Cette question se trouve donc dans l'espace mouvant et ne peut déroger à l'interrogation et à l'étonnement mental.
Je ne peux pas chercher et rendre à l'intelligible ce qui semble n'être qu'une question mouvante en lui donnant la forme d'un texte. Je ne peux pas écrire ce que chaque individu cherche dans son intimité propre.
Mais
Je peux trouver et écrire le processus qui permet de lire le vivant.
Je peux mettre la pensée dans son bon référentiel et lui donner le pouvoir de lire.
Le vivant respecte un processus évident, universel, commun à toutes les présences organiques, de l'orque à la tique, de l'amanite au sequoia, de l'aigle au staphylocoque.
Décrire le vivant par son processus, et non comme une idée, puis l'inclure dans la culture de l'humanité, semble être le meilleur moyen d’aborder les arts du spectacle vivant par le vivant.
Exposer les composants de ce processus, les contextualiser dans le corps humain et sa psyché complexe, voilà ce qui devrait offrir à l'acteur une matière première plus qu'intéressante !
Une fois le processus établi, il sera alors possible de créer des liens forts, dynamiques et polymorphes entre chacune des étapes de ce processus. Il me le faudra ensuite le combiner dans théâtre épuré, un théâtre radical, une forme archaïque du spectacle vivant. Il deviendra alors un outil d’analyse et d’élaboration puissant pour générer, presque comme une réminiscence, un théâtre originel et précieux dans sa capacité à se transformer, à devenir, à se laisser créer pour plus de légitimité et dans une adaptabilité réinitialisée.
Je détaillerai également quelques effets que créent les dérèglements de ce processus, pour montrer comment ce "processus du vivant" peut être pertinent dans la composition de personnages et de dramaturgies.