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L’abstraction ontologique de la forme

Ce qu'il peut être retenu de cet étrange poème est que cette inspiration, cette intuition nécessaire à admettre que l’aspect de ce qui est perçu, n’est qu’une interface, n’est qu’interprétations de conflits de champs. 
Ce que nous voyons n’est qu’une réflexion d’ondes lumineuses, que ce que nous touchons n’est que la force impénétrable de mouvements invisibles, que ce que nous entendons n’est que le mouvement des déplacements de corps vibrants.
Le monde que nous traversons n’est que le masque d’un monde invisible beaucoup plus riche que sa simple apparence, composé exclusivement de mouvements et d’infinis. 
Au-delà des sens concrets qui me sont offerts et dont mon esprit aime se faire des représentations, il existe une réalité beaucoup plus dense, plus riche, plus lumineuse et plus vibrante encore. Mon corps biologique a été façonné pour habiter la terre, mais indirectement, surtout, pour habiter l’univers et le cosmos.

Ne pas s’ouvrir à l’intuition est une erreur, provoquant des abstractions trop fortes et dévastatrices.
Toute l’humanité contemporaine s’est construite sur la pensée conflictuelle que nous a offert l’outil, auquel nous nous sommes maladivement identifiés. C'est comme si l'existence de l'humanité avant l'outil avait été totalement reniée par sa conscience. Probablement par complexe, l'être humain s'est vu affublé d'une tâche, un métier, un statut et lorsqu'il est devenu quelqu'un plus rien d'autre n'a eu d'importance. Être une image, cela est devenu une obsession dissociative de masse. L'image, est une représentation. L'image est une forme suscitant l'imaginaire et le souvenir. L'image est l'outil de la pensée. le mot est une image.

Les choses formelles sont utiles, mais les choses essentielles maintenant nous échappent. Elles nous échappent parce qu’elles n’ont pas de forme, pas d’utilité, et que nous avons fait de la forme et de l'utile notre unique singularité dans le monde du vivant.
La forme s'est placée en ciment de la philosophie occidentale. Désormais ce qui est essentiel est tout ce qui nous dépasse, l'essence de l'être est tout ce que nous sommes incapable de penser.
Voici dans quelle tragédie l’humanité s’est engouffrée : Puisque nous ne pouvons pas penser certaines choses, alors nous ne pouvons pas les résoudre. Afin de dénigrer cette réalité, nous avons mis en scène l’anthropocentrisme et l’anthropomorphisme à tue-tête, nous avons donné au monde nos caractéristiques d’outil, nous avons donné au monde son utilité pour l’homo-faber. Si une chose n’a pas de forme utile, si une pensée n’est pas pragmatique, si une chose n’a pas de cohérence mécanique, alors elle devient méprisable, voire dangereuse, insolente, au mieux insignifiante.

Mon utopie
C'est rendre au temps la beauté de la seule présence, c'est rendre à l’espace sa nature fluctuante et son élasticité, c’est permettre de rendre à l'être sa qualité d’être changeant, seulement capable, dans l’effet, à être l'acteur de ses interactions, c'est rendre à l'être vivant sa nature cosmique, c’est l’inviter à se dépasser en mettant l'intuition au-delà de tout savoir, c'est rendre à la connaissance ses sensations ineffables, c’est inviter son esprit à la vigilance des invisibles, c’est confier à son corps les responsabilités matures de son propre mouvement, et de son propre mouvement seulement, c'est rendre à l'intimité son statut identitaire, 
Et cela
Pour être dans la juste résonance avec le théâtre du cosmos, seule universalité possible.

Voici l'enjeu d’une abstraction de la forme : Être dans la justesse du monde.

Lorsque, au théâtre, le demiurge crée la situation et dirige la parole, il ne reste à l’acteur que la responsabilité des mouvements invisibles qui caractérisent le vivant, et c’est cette propriété qui donne vie à une représentation. Sans la capacité de l’acteur à exister présentement, à être dans la seule et juste intention d’acter sa présence dans le mouvement de son vivant, la représentation théâtrale perd toute sa substance, sa magie, sa beauté, son sens. (On peut dès lors concevoir la responsabilité de l'acteur du vivant, qu'il soit comédien ou poète.)

Et c’est là tout à fait ce que je constate comme tendance autoritaire dans le théâtre contemporain occidental. 
Certaines castes théâtrales, aux qualités vivantes perverties, misent leur art théâtral sur des performances littéraires ou sur une forme artistique capitaliste, portant l’intérêt de leur travail sur des formes où le mouvement devient au mieux un objet politique et une œuvre. Ces pratiques cultuelles laissent le sentiment qu’une limite ne se remplace que par une autre limite, donnant à l'art une propriété fongible et le propulsant dans une logique de progrès.

Est pervers ce qui détourne une chose de ses fonctions. L'outil est un mouvement trouvé utile et aménagé en objet.

Quelle autre fonction pour nous, être vivants, que d’être vivants ?

Quelle autre fonction que de nous émouvoir dans la lutte des existences, passant outre l’objet d’une vie ? Le but, l’objectif d'une vie n’est qu’une illusion d'une dimension nourrie de fictions et ce qui est présent ne peut être autre chose qu’un mouvement habité par l'incommencé et donc l’imprévu. Habiter un mouvement dans la seule régie des interactions rendues précieuses, c’est tout ce que l’art du XXIe siècle devrait se suffire à être, plus qu’à vouloir représenter. C'est ce que je dois m'appliquer à faire avec acharnement, au nom de mon humanité.

Vivre, c’est là ce qu’il faut définir avec application, en explosant le corps de ses peaux utiles.

Représenter le vivant, c’est faire abstraction de ses objectifs, et être vivant, être vivant seulement, dans le mouvement généreux de cette étrangeté.

Il faut essayer de trouver ce que peut être le vivant lorsqu’il n’est qu’un mouvement, un mouvement radical, essentiel, libre, commun et universel à tous les êtres vivants. Si ce mouvement est rendu concret par le vecteur d’un corps, alors il doit être le fruit d’un processus organique, d’une nature essentielle accessible au poète scrupuleux et aux comédien consciencieux. 

Je me suis longuement attardé à définir ce processus, et à l'enseigner au comédiens, après avoir longtemps observé les vers gesticuler dans mes microscopes, 
Et avec succès.