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Être humain au théâtre

Cette recherche a été le fruit d’un travail presque laborantin, déjà par ma propre introspection, mais aussi par mon concours dans le travail de centaines d’autres acteurs et comédiens au fil de longues années d’enseignement. Ce qui est écrit ici s’est trouvé juste et efficace pour l’intégralité de mes élèves, lorsqu’ils ont été dans la capacité de se défaire du pouvoir de l’image sociale devenue perverse qui leur avait été attribuée au préalable.

Être humain est un concept fort que je m’efforcerai de traiter avec et par l’effort du constat. Pour libérer l’acteur il faut qu’il soit en mesure de ne pas prendre parti pour autre chose que sa présence. Le comédien saura mettre cela à profit. Être humain c’est être un organisme vivant, un immense animal obsédé par ses représentations du monde et de lui-même.

Avant d’entreprendre une description audacieuse d’un processus du vivant, il paraît nécessaire d’observer l’organisme lui-même et de constater toutes ses dimensions. L’organisme humain est un organisme biologique d’une part, avec ses capacités de perception et de réactions qui lui sont propres. Mais il s’est aussi rendu nécessairement social. C’est-à-dire que pour vivre et survivre il a créé le besoin d’habiter une société. Quelle que soit l’échelle ou la nature de cette société, elle lui est essentielle. C’est ainsi qu’il a développé des capacités qui l’aident à s’organiser en groupe. Il se hiérarchise plus ou moins, se spécialise dans des tâches ou des savoirs, il rend cela fluide et cohérent, de façon directe par les empathies, et de façon plus profonde par l’élaboration d’une culture. La culture lui permet de régir les faits et gestes par un imaginaire commun, une mondiation. Cet imaginaire commun est source et objet de pratiques religieuses, de créations artistiques, de mode de vie. C’est ainsi que le principe de représentation même vient permettre à l’être humain de développer des techniques d’adaptation inégalées. Grâce à sa capacité à générer de la culture, l’être humain s’autorise à vivre sur tous les endroits du globe. L’humain se représente le monde avec une telle force qu’il finit par s’enivrer assez pour vivre dans sa propre fiction. Cette perversion face à la nature est assez forte pour que les individus mêmes se perdent dans leurs propres fictions et que leurs masques sociaux fusionnent parfois pathologiquement avec leurs visages organiques, leurs visages expressifs, leurs visages sensibles, qui finit par disparaître. 
Le théâtre devient la discipline artistique qui permet aux sociétés, de façon tout à fait naturelle, de retrouver leurs visages pour un équilibrage sain de leur condition. Confier à des acteurs consciencieux le soin de confronter leurs visages à leur culture permet d’ajuster la culture afin qu’elle reste ancrée dans le vivant, légitime à l'être. Le théâtre sait rendre une société à ses sens.

L’acteur doit donc apprendre à être vierge d’image et surtout à rendre sa pensée vierge de ce qui le caractérise dans sa société. C’est seulement dans ce processus qu’il validera la beauté de ses agissements, dans la nostalgie refoulée de son public à exister dans un monde où l’affect serait resté primordial.

Rentrons maintenant dans le vif du sujet, dans la dissection métaphysique de l'organe, afin de comprendre et pouvoir reproduire consciencieusement ce qui le fait être. 

Comment le corps s'y prend-il pour adhérer au présent mouvant ?
Comment l'esprit, la pensée et la parole s'agencent-ils depuis l'organe jusque dans l'ether social ?
Qu'est-ce que ces questions peuvent amener comme trouvailles improbables et essentielles ?
Comment l'esprit et la pensée émergente peuvent-ils être le vecteur du vivant pour que ce livre ne soit pas qu'un grimoire occulte ?

L'acteur et le comédien comprendront instinctivement que le vivant est l'effet qu'ils recherchent. 
Ces prochaines pages leur seront précieuses.