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Contexte d'un théâtre contemporain

Tout mouvement s'inscrit dans un contexte. Le contexte, s'il ne lui donne pas sa matière, donne sa forme au mouvement. Chaque mouvement est indirectement l'imago de son contexte. Quel est donc ce contexte qui a créé le désir d'écrire un tel livre à destination du vivant sous prétexte du théâtre, comme un besoin d'inscrire une mémoire dans une pierre qui s'érode, et dans l'urgence que génère le sentiment d'une disparition ?

Le théâtre dans la culture capitaliste

L'être humain occidental moderne subit une importante croissance démographique, industrielle et technologique. Cela lui impose une organisation stricte et modifie considérablement son environnement. La nature change de figure et l'essence de l'être se trouve également profondément transformée, dans une transposition vers la désincarnation. Nous abandonnons les raisons absurdes du corps pour des logiques mécaniques qui nous tiennent dans l'accélération d'une vitesse sans mouvement, 
Un incommencé fini,
Un incommencé fini qui n'en finit plus. 
L'image n'est pas investie comme une lecture mais comme une identité. Elle est devenue l'organe principal d'un monde qui tend à être porté exclusivement dans sa propre fiction.

C'est l'humanité qui s'est rendue
Inintelligible à elle-même et
hermétique à sa source.

L'imaginaire se redéfinit en permanence, et dans des fulgurances qui scindent les générations entre elles. L'anthropocentrisme est une matrice, légitimée par la réalité du paysage rendu nécessairement utile à des activités économiques irresponsables.
Les arts se sont politisés à l'excès, se sont spécialisés dans les formes politiques, et les cultures deviennent des territoires identitaires sauvagement investis et défendus. 
Le corps est devenu plus transparent qu'un souvenir. 

Ici,
La théâtralité s'est transposée dans les internets aux dépens des interactions. Le surjeu est devenu l'attitude générale là où le produit est maintenant le principal acteur, pour ne pas dire le seul acteur. Nous achetons notre matérialité pour recouvrir un corps physique référent aux dépens de notre corps organique. 
L'interaction organique est en passe de devenir prioritairement un art martial et les marchés financiers sont les influences mystiques régaliennes indiscutables.
Ce que j'écris ici est le mouvement dans lequel s'engouffre l'humanité avec tout le déni que peut offrir l'espoir et l'aveuglement.

Le vivant ne sera bientôt qu'une option coûteuse, un luxe qui permettra à l'économie de promouvoir ses recherches sur la conquête spatiale.

Tout cela n'est plus seulement une fiction.

Dans ce contexte, le théâtre devient tout à fait minuscule, dans la même accélération que la disparition du vivant.
Il persiste néanmoins, tout à fait naturellement, dans la nécessité de l'humanité à être et se regarder être. Mais, dans sa dissociation psychotique et sa grandeur qui la rend inintelligible, la société occidentale a généré multiplicité de formes théâtrales, toutes aussi variées et dispersées que peut l'être l'exercice du vivant dans la panique inconsciente, insouciantes, de l'extinction. 
Nous vivons un brouhaha culturel, et ainsi nous faisons cohabiter, de façon plutôt hermétique, plusieurs approches, parfois opposées, des arts et d'un théâtre en survie.

Je ne suis certes pas sociologue des arts, ni même anthropologue et à peine psychologue. Je suis poète et ce dont je témoigne est d'une subjectivité soignée, d'une expérience éprouvée dans des centaines et des centaines de rencontres intimes par le travail de la comédie. Je parle de mes impressions laissées par un contexte culturel que je vais m'efforcer de regarder sans émotion, dans un constat froid et cinglant, radical. Difficile avec mon approche de ne pas être extrêmement critique quant aux pratiques que je constate majoritairement insouciantes et dévastatrices par l'abstrait, ou, à l'inverse, pour les plus isolés, dignes d'un courage sacrificiel.

Un théâtre dominant

Il existe dans notre culture un théâtre dominant, le fruit d'un capitalisme exclusif qui ne supporte que difficilement autre chose que lui-même. 
L'économie est partout dans la nature, le capitalisme, lui, est une singularité de la pensée humaine.
Son théâtre est un théâtre virtuel aux regards vides, aux corps d'avatars et aux interactions mécaniques. Ici la mystique est habitée par les mouvements financiers et les projets commerciaux inavoués d'une poignée d'entreprise à la mondialisation prédatrice. L'environnement est dystopique, c'est à dire qu'il ne prévoit aucun autre avenir qu'une dégénérescence du passé. Les acteurs n'y sont que des images, des produits et des modèles identitaires hermétiques aux interactions. Les internets sont l'espace de jeu où la règle est la perversion ontologique, où la subjectivité est naturellement confiée à des algorithmes, et où l'amusement ne se trouve que dans le soulagement de la déresponsabilisation générale. Le spectacle prime sur la beauté et nos écrans omniprésents canalisent nos imaginaires à la manière d'un Big Brother qu'on estime souvent impossible alors que nous nous y noyons corps et âmes. C'est le premier théâtre de notre humanité, le théâtre numérique.

Un théâtre subventionné 

Ce théâtre est le fruit maturé d'un classicisme indécrottable et conservateur. Le théâtre subventionné est nourri d'argent public par l'intermédiaire de choix politiques. Il dépend donc principalement des volontés politiques et des appels d'offres. Dans ce cadre conservateur, ce théâtre économique supporte très mal l'échec financier, l'innovation culturelle et le mouvement poétique. C'est un théâtre rendu utile, un presque-média. Dans son élan il a porté la théâtralité dans une technique devenue obscure, communautariste et élitiste. Le corps n'y est plus qu'une tragédie en soi. Ici la théâtralité s'est confondue dans la littérature et l'orgueil de ses stars. Dans ce théâtre, le lyrisme est une mystique ancestrale ou l'histoire du monde est à célébrer comme source d'autorité. 
L'avenir y est rendu tabou.
Sans accès à la trouvaille politique, on y dénonce régulièrement tout ce qui est dénonçable, faisant de la révolte le seul moteur dramatique possible. Les théâtres sont des repères de psychotiques cherchant vainement au théâtre, dans un inconscient collectif arrangeant, à combler le vide commun par les lois de l'abstraction de la réflexion. 
Cette culture théâtrale est entretenue dès les écoles, dans son approche principalement littéraire. 
Ainsi le théâtre s'ancre, tout comme la littérature et sa langue qui en découle, comme un privilège bourgeois, culpabilisant la majorité des enfants dans un échec mental qui sera également rendu utile à la hiérarchisation de la société. 
Le corps est une figure de style, un objectif.
Les conservatoires et les centres de formations se remplissent de personnes plus préoccupées à appartenir à une communauté qu'à s'investir dans une discipline artistique, avec tous les sacrifices égotiques que cela devrait impliquer. Tout cela entretien un statu quo disciplinaire amenant la théâtralité dans une macération insoluble.

Un théâtre bourgeois

Le théâtre de boulevard est un théâtre tout à fait fascinant. C'est un théâtre de classe. C'est un théâtre qui reprend comme il peut les codes du théâtre burlesque, populaire et parfois même à la frontière du clown, mais pour un public bourgeois. Il est un théâtre plein de suffisances. Si le public n'est pas un public bourgeois c'est souvent qu'il aspire à l'être, et alors il s'identifie au théâtre de boulevard pour apprendre de ses codes. L'intérêt de la bourgeoisie pour un théâtre qui reproduit et, dans le meilleur des cas, poétise les rapports humains de sa classe, est une recherche de confort intellectuel, une stimulation minimale et confortante d'une condition organique pervertie. Il devient, dans son rigoureux respect des classes, un théâtre marxiste, un sentiment populaire réservé aux sensibilités d'une bourgeoisie qui préfère rire de ses insignifiances. Les codes burlesques sont une tentative d'inclure le corps dans la pensée et ainsi de faire du corps organique une propriété de la langue et du patrimoine.
Le corps n'y est plus qu'un statut social.
Le statut social est source des émotions. En objectivant le corps dans la littérature ils le tiennent en privilège, au même titre que la littérature a longtemps été un privilège bourgeois. Ainsi ce public très singulier recouvre un instant ses fonctionnalités organiques sans la culpabilité qui d'ordinaire l'accompagne. La scène est un espace transitionnel de leur désincarnation et ses répercussions sur l'idée générale d'un théâtre populaire sont désastreuses. Le théâtre est souvent considéré comme une discipline bourgeoise et cette approche en est en grande partie responsable.

Un théâtre associatif

Le théâtre associatif est extrêmement varié. Il se distingue plus par son fonctionnement que par sa manifestation. L'association de théâtre est souvent articulée autour d'un homme ou d'une femme de métier qui en définira la pratique amateur. Cette personne, étant moteur et en charge des projets, forge souvent l'association et les créations à son image, ne pouvant faire autrement. C'est aussi ainsi que les particularités d'une seule personne peuvent donner l'image d'une discipline à toute une communauté. C'est ce qui fait la diversité du théâtre associatif. L'acteur amateur est un habitant proche et le public également. Le théâtre associatif est donc un théâtre local, et de proximité, dont les spécificités appartiennent à la culture locale. Le public n'a aucune autre attente que de voir les acteurs, il se prête au jeu des personnages sans pour autant arriver à se défaire de l'acteur qui est probablement un voisin, une sœur ou le psychologue du copain d'école. Ce théâtre est aussi confus que vivant, mais il représente plus l'activité d'une commune, d'un quartier, qu'une proposition artistique. Il serait probablement mon théâtre du vivant idéal si sa pratique était consciente, et par conséquent, s'il était artistiquement assumé en l'état. 

Un théâtre de niche

Certains amateurs goûtent au plaisir immense que peuvent offrir le jeu, la technique et la catharsis, où même le plaisir littéraire où encore cette poésie organique si forte au théâtre. Lassés des cours associatifs, par l’expérience théâtrale jugée peut-être insuffisante, ils cherchent des stages immersifs pour vivre un travail et améliorer leur jeu. Ici le public est totalement accessoire, il est seulement vécu dans le phantasme d'un avenir probable ou d'un espoir psychanalytique. C'est un théâtre sans public et sans collectif, sans autre projet que l'amélioration de l'individu à l’abri du regard de son public. C'est un théâtre de solitaires où la technique comble souvent une blessure narcissique.

Un théâtre vivant

Le théâtre de rue est un théâtre immédiat au public totalement hasardeux. C'est le théâtre populaire par excellence. L'acteur est souvent un clown ou un prestidigitateur, un marionnettiste, une personne forcément déterminée et passionnée qui aura travaillé à susciter le maximum de regards et d'intérêt. L'acteur du théâtre de rue est une personne totalement investie dans son art pour pouvoir y véhiculer sa poésie comme un besoin viscéral proche du sacrifice. Je vois ces clowns comme des héros, des poètes ultimes qui ne tolèrent aucune autre concession que leur capacité à être regardé. La charge de travail que cela peut représenter les condamne souvent au travail solitaire et, comme pour tous les poètes et tous les navigateurs solitaires, ils vivent avec la peur du naufrage et ne développent que des dramaturgies ou aux interactions limités. Ils sont les théâtres des mondes intérieurs et tout comme pour la poésie, ils ne pourront qu'être les proies des cultures politisées. Ils sont l'image du vivant qui se révolte.

Un théâtre de formes

La performance théâtrale est une forme qui cherche à représenter un concept. Elle ne cherche pas tant les regards mais plus une interprétation, une lecture. La performance est l'image d'un moment, construite en objet intelligible isolé comme on pourrait le faire un dessin sur une feuille blanche. Quelle que soit sa profondeur, la performance s'adresse au public pour le mettre en mouvement. Ceux qui produisent des performances sont l'objet d'une idée destinée au public. C'est une version contemporaine et scénarisée de l'art de la bouffonnerie. Le performeur cherche à être un miroir dans le regard du public. Sa présence actée est transposée dans le public qui devient l'acteur principal. Le public entre en interaction avec lui-même pour, dans le meilleur des cas, entamer une réflexion. Il s'agit plus là de la révélation d'une image, d'une poésie sociale, que d'un éclairage sur le vivant.

Un théâtre d'improvisation

L'improvisation théâtrale n'est pas nouvelle, mais le besoin d'en faire une discipline autonome l'est, et pour cause ! Sa proximité avec le vivant est tout à fait vivifiante.
L'improvisation théâtrale est la plus ancienne manière de générer du théâtre. Elle engage l'écriture dans son juste lyrisme. Indispensable dans le burlesque, elle permet un ancrage du corps dans chaque proposition. Il est tout à fait essentiel pour un acteur, un comédien, même pour un dramaturge et un metteur en scène de maîtriser l'improvisation théâtrale. L'improvisation, dans sa nature imprévisible, est la manifestation même du vivant dans la théâtralité. L'improvisation est indissociable du jeu et de la construction théâtrale.
Le théâtre d'improvisation est une intention qui semblerait tout à fait correspondre à mes attentes si seulement 
Elle ne s'était pas cruellement adaptée aux normes clivantes de l'entertainment.
Le théâtre d'improvisation est un théâtre qui joue principalement l'imprévu. Son pouvoir poétique et artistique aurait été immense s'il n'avait pas été contraint de s'affubler d'autant de contraintes et de codes. Dans la formation du théâtre d'improvisation, le temps passé à étudier les règles et les contraintes dépasse largement le simple souci d'amener une qualité de jeu, une qualité d'acteur. Réaliser les contraintes devient le jeu de l'improvisateur qui devient un architecte plus qu'un acteur. C'est une activité grisante et dans sa capacité à accueillir le vivant elle permet à quiconque de s'épanouir dans sa pratique, ce qui en fait une activité délicieusement populaire. Mais l'esprit contemporain anxieux, soucieux de donner une forme à tout, à forger le théâtre d'improvisation dans la contrainte. Et la puissance poétique de l'impensable enfin émergé s'est noyée dans le respect des objectifs. Et la créativité s'est perdue dans la feinte. Sans intention poétique assumée, l'art s'est dissout dans le spectacle, et le respect des règles est restée principale excitation. Le théâtre d'improvisation, à l'opposé de l'improvisation théâtrale, n'est plus que la représentation tragique du vivant rendu esclave des objectifs de la pensée.

Une première idée d'un théâtre représentant le vivant.

Il serait donc un théâtre d'une communauté de héros, loin des désirs artificiels, jouant leurs corps imprévisibles d'un espace sans contrainte, et pour un public concerné par une sorte de proximité ?

Cela demande un peu de mise en scène, une coulisse, une préparation, 
Un livre.